27 juillet 2022 | Temps de lecture : 9 minutes

Le squat, prétexte moderne pour un racisme classique

Et la fachosphère jubile (encore)

Les affaires de squat ont été largement médiatisé ces dernières années, faisant part à beaucoup de clichés, du racisme et du mépris de classe. La figure du propriétaire floué est devenue iconique pour l’extrême droite qui vient appuyer la presse mainstream dont le rôle est déjà contestable.

Cependant, ces affaires ne sont pas si claires que ça. Voyons ça ensemble…

En résumé

Des maisons squattées font l’objet d’une certaine médiatisation, appuyée par la fachosphère qui se fait l’avocate des propriétaires qui parfois utilisent la presse par pur cynisme.

On voit alors un récit opposant deux stéréotypes se dessiner : une victime faible et âgée spoliée par des squatteurs sans vergogne. L’occasion de véhiculer des clichés racistes et de ne surtout pas remettre en question quelques injustices sociales.

 

Mais revenons d’abord quelques temps en arrière.

1) Bassem Braiki et les Rroms de Garges les Gonessess

L’affaire du squat

En janvier 2018, un vieil homme prénommé Youssef alerte le Parisien. Sa maison du quartier de la Lutèce à Garges Les Gonesses est squattée par des Rroms. Lui n’habite plus cette maison depuis longtemps. Un jeune Lyonnais, rappeur et star des réseaux sociaux touché par son histoire lance un appel … à déloger les squatteurs. Bassem Braïki vient de devenir une figure médiatique.

Forcément, ce qui devait arriver arriva. Sous couvert d’une opération de solidarité, la famille de squatteurs est évacuée manu militari par les jeunes du quartier. Ce qui vaudra à la police de devoir se déplacer afin d’assurer leur protection (La présence d’armes à feu, dont un fusil à pompe conduira certains jeunes en garde à vue).

Cet épisode fera date, faisant de Braïki une figure facho-compatible, même si pour certains sites comme Boulevard Voltaire, le jeune Lyonnais n’agit que par intérêt communautaire : « Maison squattée : mieux vaut s’appeler Youcef qu’Odette ! » . Fdesouche y voit au contraire une assimilation réussie, et les frasques de ce dernier permettront au site de Pierre Sautarel de le présenter en victime.

Qui est Bassem Braïki ?

Petit aparté sur Braïki. Il n’est pas coutumier des affaires de squats, mais il fait ici le liant avec l’extrême droite et le camp réactionnaire dans cet épisode. L’aspect spectaculaire de cette évacuation, la double lecture qu’on peut en avoir (les gentils habitants solidaires contre les méchants squatteurs ou la jeunesse violente contre des Rroms) ont fait des affaires de squats un marronnier dans les médias.

Donc, qui est Bassem Braïki ? Un rappeur à la notoriété limitée et éphémère qui a connu un premier moment de célébrité avec un coup de gueule sur Youtube. Le lendemain des attentats du 13 novembre, il se filme dans sa voiture (c’est son truc, on ne juge pas) et appelle à l’unité contre l’obscurantisme et les musulmans à s’unir contre le terrorisme. On ne va pas dire le contraire…

Star de l’analyse politique-pmu

Seulement, Braïki c’est aussi tout un tas de petites phrases un peu loin de son message de paix. En bref :

  • Une homophobie bien ancrée :
    « Les homosexuels, il faut vous soigner. (…) Tu prends un Efferalgan, tu mélanges avec du cyanure puis ça va vous soigner, je pense que c’est ça. Faut éradiquer ce phénomène »
  • A l’odieux Ulcan aka Gregory Chelli, il nous fait une sortie antisémite :
    « on va refaire une Ilan Halimi, appelez moi Youssouf Fofana »
  • Et pour « nettoyer » Notre Dames Des Landes, il réclame l’envoi de chars d’assaut.

On rajoutera qu’il nous ressort le bon vieux discours sur les immigrés et la CAF, dans une ambiance très « La France tu l’aimes ou tu la quittes ». En somme, un bon vieux discours de droitard, où son appel à l’expulsion de squatteurs ne jure pas.

L’évacuation de ce squat relève du pur racisme anti-Rroms, ce qui fait d’ailleurs de cet évènement quelque chose de singulier : le bon immigré correctement assimilé n’hésite pas à faire le coup de poing contre d’autres immigrés.

2) Médiatisation des affaires de squats

Nouvelle médiatisation, nouveau sujet. (évolution de la loi)

Toulouse

Début 2021, une nouvelle affaire occupe les médias. Roland et ses 88 ans bien tassés veut vendre sa maison pour aller rejoindre sa femme en Ehpad. Hélas, l’octogénaire Toulousain est bloqué par une famille qui squatte cette maison où il a passé toute sa vie. On a dans ce genre d’affaire deux récits qui se confrontent : Celui de notre personne âgée, affaiblie, chassé de sa maison à laquelle il est intimement liée et celui des squatteurs dans le rôle de spoliateur sans cœur.

Résultat des courses : le mot est donné et on assiste rapidement à l’arrivée d’un comité de soutien, inspiré par Bassem Braïki. De l’autre côté de la grille, des soutiens des squatteurs sont là pour éviter que ça ne dégénère. Toujours est-il qu’en attendant, la justice a déjà ordonné l’expulsion à la fin de la trêve hivernale.

Il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont les médias ont relayé cette affaire : un discours beaucoup trop manichéen, une urgence plutôt relative et la focale décentrée : Il faudrait des logements plus faciles d’accès pour les plus pauvres et une personne âgée ne devrait pas être dépendant de la vente de sa maison pour aller finir ses jours en Ehpad. Le récit qui l’emporte ici est un logiciel de droite, c’est également celui qui s’impose dans les médias.

Emmanuel Wargon, alors ministre du logement en profitera pour annoncer une loi qui « protège mieux les propriétaires ». Elle déclare en visite sur les lieux :

« Mon sentiment personnel c’est le même que celui de tous les Français : j’étais émue par la situation de ce retraité. Je suis contente qu’il ait pu rentrer dans sa maison et qu’il en soit maintenant à récupérer son bien, le nettoyer et se le réapproprier »

Pour le vendre, pardi !

Théoule Sur Mer

Une autre affaire, celle de Théoule Sur Mer, dans les Alpes Maritimes. Nous sommes à l’été 2020, un couple avec de très jeunes enfants fuit la région Parisienne où un homme les menace. En arrivant dans la sud, il fait la rencontre d’un homme qui leur propose une sous-location, ils s’y installent jusqu’à ce que les vrais propriétaires, un couple de retraités ne débarque dans leur lieu de villégiature en plein mois d’aout. Tout du moins, c’est leur version.

 

L’affaire ne va durer que trois semaines, mais dans ce contexte elle est accompagnée d’une forte médiatisation, en témoigne cette « séquence culte » des Grandes Gueules. Alors que le compagnon est interpellé par la gendarmerie en pleine affaire de violence conjugale, la maison est évacuée. Fin de l’histoire, le couple de paisibles retraités récupère sa villa sur la côte d’Azur, l’horreur est terminée.

Là encore, la construction médiatique binaire a beaucoup joué. De toute évidence, la famille de squatteurs vivait dans la précarité et le couple de propriétaires n’était pas dans une situation si désespérée. En fin de compte, ils seront relogés quelques jours dans un grand hôtel, et les riverains ont lancé une collecte pour remettre la maison en état. Les choses vont de mal en pis pour la jeune famille, les parents seront condamnés à 8 mois avec sursis pour violation de domicile et 15 000 € d’amende. Peine que le propriétaire trouvera trop clémente (merci de lui avoir demandé son avis?).

Bretagne

Noyel Sur Vilaine

Pour continuer sur cette lancée, on peut parler de l’affaire de Noyel Sur Vilaine, près de Rennes. Ici c’est 15 adultes et 8 enfants qui vont squatter une maison pendant plus de deux ans. La maison allait être vendu quand elle a été occupé. Le rayonnement est plus limité, mais les superlatifs ne manquent pas. Même les gendarmes qui sont intervenus n’en revenaient pas !

Ici, les occupants vivaient de récup’ en surnombre sur la propriété. Face à cette grande précarité, las du refus de l’aide de l’état par ces squatteurs, la presse titre sur le malheur du propriétaire : il ne pourra jeter les déchets avant deux mois!

Belle Île

Un récit qui contrebalance avec l’histoire de Pascal, un travailleur seul en grande précarité qui décide d’occuper une résidence secondaire sur l’île. Soutenu par le DAL, mieux organisé, le récit est plus équilibré : c’est bien la précarité qui l’a poussé à ouvrir la porte d’une maison occupée seulement en saison.

Ça n’empêche pas la justice de le poursuivre. Il risque de la prison avec sursis. Sans surprise, on trouve par exemple dans cet article, un récit qui est celui du procès de la précarité.

Voilà, ces quelques exemples illustrent comment ces dernières années les affaires de squats ont occupé de plus en plus de place, avec un récit chargé de clichés qui passent toute nuance à la trappe. Nous allons maintenant voir comment le mépris de classe et le racisme ont joué sur une affaire de squat complètement bidon : l’affaire d’Ollainville. 

3) L’arnaque d’Ollainville, vrai cynisme pour fausses victimes

Maintenant, on en arrive à l’affaire qui nous intéresse, celle d’Ollainville dans l’Essonne. C’est de loin celle qui a été la plus médiatisée depuis Garges en 2018. Et pour cause !

Tout commence quand Laurent et Élodie, qui viennent d’acheter une maison contactent le Parisien. Le mercredi 8 juin, le journal publie (c’est le même processus que l’affaire de Garges). Le couple raconte qu’ils étaient venus faire la fête avec une dizaine d’amis, avec le barbecue et la bonne humeur ! Mais patatra, la crémaillère est gâchée par une présence inattendue. La gendarmerie ce déplace mais hélas ne peut rien faire pour eux. Nous avons ici un premier récit : le système en veut à Laurent et Élodie qui voient les économies de toute une vie en péril. (ça ne vous rappelle pas les bases du glurge ?)

L’article fait grand bruit, France 3 se déplace. Les choses vont vite, le jeudi soir le couple est invité à l‘émission TPMP de Cyril Hanouna, bien connue pour son sens infini de la déontologie. Une demi-heure à débattre du malheur des victimes, et comme les absents ont toujours tort, il y a d’emblée une convergence des uns et des autres pour condamner la famille de squatteurs.

Le même jour, Eric Zemmour partage cette histoire. Nous sommes à quelques jours du premier tour des législatives, il y a un enjeu à se positionner sur ce sujet. Gérald Darmanin embraie et exige une expulsion rapide.

Plot twist !

Sauf que les choses ne sont pas si simples. Quelques jours plus tard, des doutes apparaissent : Laurent et Élodie aurait peut être un peu (beaucoup) menti, leur histoire ne tient pas. Pire, ils ont manipulé les médias en toute connaissance de cause. On vous résume : Le couple savait en l’achetant que la maison était habitée, ils l’ont choisit parce que justement elle était occupée et que le prix était à l’avenant. C’est même une pratique connue. Ce jeudi est une journée chargée, puisque la famille est agressée devant la maison le soir même.

Laurent aura beau retourner chez Hanouna une semaine plus tard pour tenter d’atténuer son mensonge, ça ne prend plus. Mieux encore, début juillet, le Parisien (encore!) publie le récit de monsieur Saber B., occupant de la maison. C’est lui qui s’est fait arnaquer, versant la somme comptant (dont une partie par virement) à un intermédiaire véreux. Monsieur B est un ouvrier Tunisien, et la vente de gré à gré est courante en Tunisie. Le récit est disponible ici. Et pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, le couple de jeunes propriétaires est connu par la justice pour des faits relevant du banditisme.

Un second récit vient donc supplanter le premier. La réalité est toujours bien plus complexe. Aujourd’hui, la famille de Saber B. a perdu logement et économies, et le jeune couple qui n’a reculé devant rien pour pousser cette famille à la rue a récupéré son logement.

Jouer sur les a priori racistes

La médiatisation

Nous l’avons vu, les médias ont une grande responsabilité dans les proportions que prennent ces affaires.

Forcément, un profil de victime à la Papy Voise ça donne une bonne histoire. Surtout si on a de vrais méchants squatteurs sans cœur. On a vu dans au moins deux des histoires que nous vous avons rapporté que c’est le Parisien qui a ouvert la voie, alerté par les propriétaires. Puis la presse nationale, les politiques, les émissions à large audience comme les grandes gueules ou TPMP.

Seulement, cette fois ils se sont fait piéger. Laurent et Élodie ont su jouer sur les habitudes de la presse, et le racisme latent dans l’opinion publique sur une affaire de squat.

Les médias se sont fait arnaquer, et ont tenté de sauver les apparences. Pris la main dans le pot de miel, Cyril Hanouna fait le procès de Laurent après avoir fait celui des squatteurs. Trop tard, le mal est fait.

La gestion par la force

Parce qu’en pratique, ces récits aux accents d’injustice sont de véritables appels à la haine. Très logiquement, se faire justice soi-même, récupérer une propriété légitime, c’est tout à fait compatible avec un discours d’extrême droite. Surtout quand les squatteurs sont des gens du voyage, des gens en grande précarité ou des réfugiés. On retrouve cette tonalité dans les comités de soutien, prêt à court-circuiter la justice (qui donne quasiment tout le temps raison aux propriétaires).

Mais la violence de l’extrême droite, il y a la violence de l’État. Des squats évacués par la police, il y en a des tas. Prenons l’exemple du Squid à Bordeaux ou encore cette centaine de femmes à Montreuil menacées d’expulsion dont le rappeur Kalash a pris la défense.

Et enfin, on passe souvent à côté de la violence sociale, la relégation. Beaucoup de gens sont dans des situations de grande précarité, même avec un CDI. Cette violence est insidieuse ; elle réside dans l’invisibilisation et la négation de la misère sociale. Le squatteur est un archétype de mauvais citoyen.

Conclusion

Nous avons donc pu voir à quel point les affaires de squats médiatisées reposaient sur un récit stéréotypé. On retrouve toujours une victime, un coupable et des soutiens de la victime.

Seulement, l’affaire d’Ollainville nous a montré comme un couple a profité du racisme latent pour manipuler la presse sur une affaire de squat. Certes les évènements ont dépassé le couple qui pensait juste court-circuiter la justice pour faire expulser une famille immigrée d’une maison achetée au rabais (parce que justement ils la savaient occupée). Quand Darmanin et Zemmour ont pris les choses en main, le couple a sûrement eu peur et a tenté de se dégager.

Ce n’est pas joli joli d’utiliser les a priori racistes pour son intérêt : c’est du pur cynisme. Et pire, l’extrême droite se régale en se présentant comme plus juste que la justice.

Merci à Laurent et Elodie pour la prochaine loi qui criminalisera encore plus la misère et la précarité.

Pour en savoir plus

Bonus

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