29 juin 2023 | Temps de lecture : 7 minutes

L’armée dans les banlieues, un serpent de mer

La tentation accélérationniste

L’armée doit-elle intervenir dans les banlieues ? Voilà un bon vieux serpent de mer qui réapparaît à chaque émeute. Cette fois, en juin 2023 c’est à la suite de la mort de Nahel, un jeune de 17 ans abattu lors d’un contrôle. L’histoire, on la connaît par cœur, c’est toujours la même depuis Vaux en Velin en 1979 en passant par les Minguettes, Villiers-le-bel, Clichy Sous Bois. Notre article ne traite pas de ça. 

En revanche, les discours autour des violences qui accompagnent cette énième bavure sont révélateurs d’un état d’esprit particulier, celui d’une jubilation. Et évidemment, dans le flot d’informations des réseaux sociaux, on trouve des hoax. Voyons cela ensemble.

armée banlieue nanterre

Des militaires aperçus dans un quartier

Comme nous vous le disions, c’est un serpent de mer, une de ces marottes qui revient régulièrement. En effet, l’État mobiliserait à chaque fois plus de moyens inédits pour contrer la menace représentée par une jeunesse en proie à une bouffée de violence. Ainsi, à la suite des funestes évènements de Nanterre, ont été aperçu en ville des camions militaires.

capture telegram damien rieu armée banlieue
La vidéo a été partagé par Damien Rieu sur Telegram

La nouvelle vient d’un compte Telegram « Relais information » et semble avoir été récupérée sur un compte Snapchat. Ce compte ne relais que des vidéos, brutes, sur ces émeutes, avec très peu de contexte et souvent peu vérifiables. Malgré tout, ce compte est l’un des principaux pourvoyeurs de format vidéos pour des comptes Twitter (comme @Alertesinfos ) ou des militants politiques comme Damien Rieu, comme le montre la capture ci-dessus.

L’armée arrive alors ?

Revenons à nos miloufs !

Rien ne nous indique que cette vidéo date de cette nuit, pour commencer. Mais admettons que ça soit le cas, qu’est-ce qu’on y voit : deux véhicules avec le camouflage propre à l’armée française. La gendarmerie étant toujours un corps d’armée, elle dispose de certains matériels spécifiques.

photo camion armée gbc 180
Renault GBC 180 shelter radiogoniomètre

Regardons de plus près ce dont il s’agit. Le modèle de camion a rapidement été identifié, c’est un Renault GBC 180 équipé d’une ATS15 « Station Gonio » du système EMILIE (Ensemble Mobile Informatisé de Localisation et d’Interception des Émissions HF), un modèle très spécifique mis à disposition du 44e Régiment de Transmissions, habitué à défiler sur les Champs Élysées, le 14 juillet, soit… dans 15 jours. Une source nous a confirmé que les bataillons du GCE, (Groupement de Circulation et d’Escorte) préparaient actuellement l’encadrement logistique du défilé. De fait, oui, des GBC 180 traversent certaines banlieues, mais c’est tout simplement parce qu’ils  se rendent à l’EMDZ (Etat major de Zones de Défense) de Saint-Germain en Laye.

Un peu léger d’envoyer un matériel de guerre électronique ultra-spécifique dans les banlieues… Mais peut être que finalement l’armée prend très au sérieux les projections de feu d’artifice.

En conclusion, non l’armée n’est pas mobilisée pour intervenir dans les quartiers de banlieue. Mais penchons-nous sur ce que raconte cette fascination ?

Faut-il envoyer l’armée dans les banlieues ?

Au registre des obsessions de la fachosphère, la banlieue représente un espace fétichisé et source de millions (des milliards) de fantasmes. Islamisme, trafics, délinquance, sexisme, on en passe et des meilleures.

L’accélérationnisme

L’accélérationnisme est un concept politique qui repose sur l’idée que le capitalisme doit s’effondrer sur lui-même, par une crise de surproduction par exemple. Mais le concept a été détourné et a perdu sa dimension anti-capitaliste pour garder l’idée générale : face au mur, accélérons.

Justement, dans le sociolecte de l’extrême droite, l’accélérationnisme consiste à favoriser les situations de crise qui seraient propices à une révolution nationaliste. C’est spéculer sur un prétendu ras le bol des français et la fachosphère a commencé à exceller à ce petit jeu là sur les réseaux sociaux.

 » Plutôt que de freiner l’immigration et le terrorisme, les accélérationnistes veulent essayer de voir dans quelle mesure ils peuvent en tirer profit pour favoriser l’affrontement », reprend Jean-Yves Camus.
L’Express

C’est également un des moteurs du terrorisme contemporain à l’extrême droite, où les militants s’arment pour un affrontement jugé imminent et inévitable.

L’opération Ronces et l’état d’urgence

Un terme revient ce matin, après cette vidéo c’est celui « d’opération Ronces ». Popularisé par Eric Zemmour, il s’agirait d’un plan secret de l’armée française qui se tiendrait prête à reprendre des zones du territoire en métropole. Comme il le dit lui même, une sorte de « Bataille d’Alger ». Plan dont l’existence n’est pas avérée.

Et comme par hasard, ce matin, l’expression réapparaît sur Twitter et Telegram. Cette vidéo serait la preuve absolue que le grand plan est lancé.

capture tweeter zemmour territoires étrangers
Un appel au calme un peu douteux.

Le leader de Reconquête lui même évoque sa propre thèse, sans parler pourtant de présence militaire.

L’effort de guerre communicationnel

Cette effervescence est une occasion inespérée pour la fachosphère qui y voit une opportunité.

La surenchère de la fachosphère

Donc, nous avons ici une occasion en or de s’illustrer pour ces activistes de la haine.

Julien Rochedy y va de son analyse, dont on reconnaît le logiciel.

capture tweeter julien rochedy nanterre
Lola servira de prétexte pour tout, malgré les demandes de la famille.

Avec des commentaires allant dans le même sens.

Au registre des commentaires immondes, on en trouve sous tous les articles de presse sur le sujet. Là encore on en appelle à l’armée.

On continue notre tour des obsessions avec d’autres appels à l’intervention de l’armée en espérant que ça soit elle qui se salisse les mains à leur place.

La raison est évidente, c’est une guerre raciale

guerre raciale capture Quant aux têtes de gondole, elles surfent la vague.

Et même chez les complotistes, on a un avis. Curieux non ?

capture palomba émeutesEnfin, pour finir notre tour, sous la vidéo de quelqu’un lançant une grenade à un coin de rue (sic!), on trouve des commentaires venant de l’étranger qui permettent de voir des dynamiques qui dépassent la seule problématique française.

Pendant ce temps, là, certains appellent à la ratonnade sur Telegram.

https://twitter.com/RicardParreir/status/1674374569862340609

 

Le complotisme institutionnel

Après une gestion très sobre et plutôt raisonnée de la mort du jeune Nahel, le politique doit gérer les conséquences. Et forcément, face à la fachosphère, le ministre doit montrer qu’il est plus dur qu’elle :

« Ce sont les habitants des quartiers populaires qui sont touchés. C’est absolument incompréhensible. On ne peut pas rester naïf devant ces organisations. Il s’agit d’organisation qui ont voulu atteindre notre pacte républicain », dit-il.

« Je voudrais surtout dire que nous avons à nous mobiliser au ministère pour que la réponse de l’État sera ferme. Si la justice doit passer dans le calme, les émeutes n’ont rien à voir avec cette histoire. Les professionnels du désordre doivent rentrer chez eux. J’ai décidé qu’il y aura 40 000 policiers et gendarmes mobilisés ce soir ». Il dit vouloir « rétablir l’ordre républicain qu’attendent les Français ».
La Voix du Nord

A Mons-en-Baroeuil, Gérald Darmanin voit donc dans ces émeutes une organisation de la part de professionnels du désordre, une façon de retirer le sens politique d’une action, tout en satisfaisant la droite. Mais surtout, cette façon de tourner les évènements est complotiste, et rappelle les méthodes de son mentor il y a 18 ans quand il avait accusé les islamistes et des bandes criminelles d’organiser les émeutes. Des affirmations infirmées par ses services.

Quant à Valérie Pécresse, qui avait tenté de récupérer le concept de grand remplacement aux dernières présidentielles, elle a demandé la fermeture des transports plus tôt dans les quartiers touchés. Une sorte de punition pour ces quartiers habitués à la double peine. En effet, y habitent de nombreux travailleurs en horaires décalés qui partent tôt et rentrent tard.

capture valérie pécresse emeutes transports
Pas de bras, pas de chocolat, le paternalisme en politique

Les syndicats policiers en roue libre

La première réaction des politiques fut une condamnation du policier incriminé. Les syndicats policiers ont donc gardé le silence pendant 24h. Tous sauf un, Bruno Attal qui a mis le feu aux poudres en ayant perdu absolument tout sens des proportions.

À sa suite, les autres syndicats sont montés les uns après les autres au créneau, comme Jean-Christophe Couvy de FO Police :

« Des groupes bien motivés et bien entraînés ont fait régner la terreur cette nuit. »

Il faut croire que le ministre a finit par suivre les syndicats policiers. Pourquoi parler d’eux ? parce que vous allez rire, mais ce sont les seuls de cette frange politique à ne pas vouloir de l’armée, mais des moyens.

Conclusion

Que dire de tout ça… Chaque bavure est suivie d’une explosion de colère, geste politique par sa nature qui contient toutes les frustrations d’une partie de la société. On peut chercher à appeler au calme, à parler à la place des principaux concernés. Ces évènements ont été largement expliqués par des légions de sociologues, ça ne raconte ni une guerre civile, ni une sécession.

L’extrême droite ne redoute pas ce climat de tension, au contraire, elle s’en nourrit. Elle grandit sur le terreau fertile de la misère et des frustrations, exploitant les rancœurs, et diffusant des mensonges. Et dans un climat où la surenchère est la norme entre médias, politiques et syndicats policiers, l’extrême droite se tient prête à en récolter les fruits.

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