27 octobre 2023 | Temps de lecture : 8 minutes

La violence, c’est la faute aux Jeux vidéos !

Oui, encore !

Accuser les jeux vidéo d’être responsables de toute la violence de notre monde est rapidement devenu un poncif. Précision : le jeu vidéo est récent et n’entre dans tous les foyers qu’à partir des années 80. À croire, donc, que ce bon vieux temps pré-80’s était entièrement pacifié.

Mais cette fois, c’est vrai ! Croyez-nous, cette fois, c’est la bonne. Call of duty, ce n’est pas Pong, c’est la porte des Enfers qui transforme nos chers petites têtes blondes en bourreaux. Car oui, ce sont les jeunes qui sont susceptibles d’être violents, et ce sont eux qui jouent aux jeux vidéo.

photo pexels 7330165 - personnes âgées jouant aux jeux vidéos
Avec eux, on ne craint plus rien.

Comme d’habitude, nous, Debunkers, pensons que les choses sont peu plus compliquées que ça. Cet argument est en réalité tout à fait discutable et surtout, révèle un discours à la ligne conservatrice.

Une nouvelle vague de violence en France

On aimerait dire  » tout commence ici « , mais objectivement, les choses ne se sont pas déroulées ainsi. Il s’agit en effet d’une séquence qui ne peut être séparée d’un contexte.

Besançon, pas loin d’un nouveau Christchurch

Nous sommes tombés sur cet article de Toufik de Planoise, journaliste bisontin et compagnon antifasciste de longue date (posté le 18-10 sur Facebook). Ce dernier évoque le cas d’un adolescent arrêté le 13 octobre. dernier. L’interpellé avait en effet promis sur Discord de faire un carnage dans une mosquée. Un acte islamophobe et une vengeance raciste qui rappellent la tuerie de Christchurch. Mais le procureur Étienne Manteaux, instructeur du dossier, relativise une possible menace d’attentat. Et l’histoire retiendra que le parquet a in fine préféré considérer l’adolescent comme un petit plaisantin imprégné de références certes douteuses mais qui, fort heureusement, ne présente aucun signe de radicalisation. Tout en insistant sur sa pratique des jeux vidéo, parce qu’après tout, il est jeune et violent, et la violence ce sont les jeux vidéos.

capture article Touffik de Planoise 22 10 2023
Cette fois c’est le parquet qui signe.

On ignore si le jeune joueur présente réellement un risque de passage à l’acte. En revanche, outre la question des jeux vidéo, on identifie quand même une sacrée référence raciste. Si c’est de l’humour noir, ce n’est pas raciste ?

Sebastien Boussois

Parmi les experts invités régulièrement sur les plateaux ces derniers temps, il y a Sebastien Boussois. Spécialiste du Moyen Orient, enseignant-chercheur dans différentes universités, il est également auteur pour le magazine Marianne.

Pour lui, c’est Assassin’s Creed et Resident Evil qui ont poussé des jeunes à vouloir attaquer une ambassade israélienne.

Les émeutes, c’est un peu la faute aux jeux vidéo

Et c’est Mister El Presidente Emmanuel Macron qui nous le dit !

Mais venons-en à la dernière « analyse » présidentielle, qui est la plus intéressante – ou la plus affligeante, au choix. Ces images conduiraient à une « forme de sortie du réel », justifiant « le sentiment que parfois certains d’entre eux vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués ». Alors… comment dire ?…. Par où commencer ?…
Nouvel Obs – juillet 2023

Oui, par où commencer ?

Déjà, rappeler les faits. Nahel Merzouk a été abattu par la police à Nanterre le 27 juin 2023. La totalité de la scène a été filmée. Notre président a commencé par exprimer un moment d’empathie, et, au bout de 24h, on aurait pu considérer que la gestion de cette crise par le pouvoir était quasi-exemplaire. Ulcérés, les syndicats policiers ont repris la main, occupant les médias en soutien à leurs collègues. Le discours du pouvoir s’est adapté, et les habituelles manifestations de colère consécutives à chaque bavure on été montées en épingle.

S’en suit un embrasement des quartiers populaires en plein contexte d’inflation. De nombreux pillages, d’une dimension inédite, constituent un épisode qui n’a duré quelques jours, et dont on vous avait parlé.

capture animal crossing
Dans Animal Crossing, les enfants apprennent à devenir des individus très mobiles organisant des manifestations sauvages en vue de commettre des dégradations.

Le narratif du pouvoir et de la droite identifient les jeux vidéo comme responsables. En substance :  » si ils sont violents c’est parce qu’ils jouent aux jeux vidéos et d’ailleurs regardez, c’est ce qu’ils volent en premier « . Or si des mômes ont piqué des PS5, c’est qu’elles sont hors de prix et ne sont pas une priorité dans un budget, et non en vue de se radicaliser.

C’est pas moi, c’est les jeux vidéos

Une vieille rengaine

N’en déplaise aux politiques qui croient réinventer l’eau tiède, s’en prendre aux jeux vidéo est une obsession assez ancienne, et prétendre protéger la jeunesse de la violence et de toute perversion vieux comme le monde. Inutile, néanmoins, de remonter aussi loin. Il suffit de regarder les ligues de vertu américaines pour tomber sur le même mécanisme. (D’ailleurs, la figure de la mère de famille n’est elle-même pas exempte de sombrer dans la violence, la faute à Nintendo ?)

capture jeu Wolfenstein 3d
Est-ce que jouer à Wolfenstein a fait de nous des antifascistes ?

Tant qu’on est aux USA, on peut y repérer ce même discours. Ici, la jeunesse, dont certains éminents représentants ont développé une tendance à débarquer fusil d’assaut en main dans leur établissement pour tirer à l’aveugle, est également sujette à la manipulation par le jeu vidéo. Plus sérieusement, ce fut l’une des explications avancées pour expliquer Columbine, ainsi que tous les massacres à la suite. Et pêle-mêle aux côtés des jeux vidéo, citons Charles Manson, la fascination pour le nazisme, l’accès aux armes et Black Sabbath. Pick one !

Et en France ?

Là encore, au pays des 1000 fromages, les jeux vidéo ont mauvaise presse. Tout du moins, il a fallu attendre que le politique s’y intéresse, incapable de savoir si l’industrie du jeu vidéo relève de la culture, de la communication, du numérique ou de l’audiovisuel…

Ce rapport date la première intrusion du jeu vidéo dans le champ politique très tardivement, en 1997.

 » 1485. − 16 avril 1997. − M. René André appelle l’attention de M. le ministre de la culture sur la nécessité de mettre en place un contrôle strict sur la vente de vidéos et de jeux vidéos à caractère violent dans notre pays. En ce qui concerne les jeux vidéo, il lui cite l’exemple du jeu Phantasmagoria vendu actuellement sans aucun contrôle depuis plusieurs mois dans notre pays. Il lui précise que ce jeu retrace l’histoire d’un mari possédé par un magicien fou qui assassine ses cinq femmes de manière particulièrement atroce avant de finir, après plusieurs viols, scènes de torture, par s’empaler lui-même. Le caractère violent de ce jeu est d’autant plus marquant qu’il s’agit non d’images de synthèse mais d’une vidéo tournée par de vrais acteurs. Depuis quelques mois, ce jeu est détrôné par une nouveauté, le Zork Nemeris où un grand nombre de personnes sont là encore atrocement mutilées. Il s’agit ici de voler des cadavres à la morgue pour ensuite les décapiter à la guillotine et accrocher les têtes à des crocs de bouchers. Ces jeux sont en vente totalement libres dans une majorité de grandes surfaces. De même, des films interdits aux moins de seize ans dans les salles de cinéma se vendent aujourd’hui sans contrôle de l’âge de l’acheteur en kiosque. Il lui cite ainsi deux exemples récents, le film Reservoir Dogs de Quentin Tarentino ou encore Seven qui retracent les aventures de tueurs en série avec infiniment de détails sanglants. Cette situation rend aujourd’hui les mesures de protection des mineurs totalement inefficaces, puisque l’on peut avoir chez soi, le film que la commission des visas a déclaré trop violent pour être vu par un trop jeune public dans les salles. De même, cette absence de contrôle sur ces produits paraît en complète contradiction avec les mesures de protection contre la violence à la télévision récemment prises par le CSA. Il lui rappelle également le fait que l’année dernière, une affaire judiciaire relative au meurtre, dans des conditions atroces, d’un jeune homme a révélé, si besoin en était, les effets pervers de l’accès à de tels produits. Des solutions existent pourtant. Ainsi, en Australie, une commission composée de personnalités indépendantes est saisie de toute demande de commercialisation de film, vidéo, jeux sur le territoire australien. Cette commission a d’ailleurs refusé le visa d’exploitation aux jeux précités. Il lui demande quel est son sentiment sur l’état de notre législation en ce domaine et quelles mesures il entend prendre de manière urgente afin de protéger contre de tels produits nos enfants et afin de rassurer ainsi de nombreux parents inquiets de voir notre pays sujet à de telles dérives ?  »
Question à l’assemblée

Et évidemment, ça vient du RPR. C’est d’ailleurs sans surprise un thème  » naturel  » de la droite. En 2015, Nicolas Sarkozy le fera sien pour désigner un responsable des attentats. Souvenons nous qu’en 2005, le même parti trouvait tout à fait cohérent de dénoncer le rap comme responsable des précédentes émeutes. Paradoxe, quand cette industrie génère tout un tas d’emplois.

En 2017, on retrouvera encore cette tentative d’explication lorsqu’un adolescent s’en prendra à son lycée à Grasse.

Mais alors, c’est vrai ou pas ?

Le syllogisme concluant à la responsabilité des jeux vidéo dans la violence est assez classique ; il a une saveur de généralisation abusive et de fausse corrélation.

 » Les terroristes jouaient aux jeux vidéos.

Or les jeux vidéos rendent violent.

Donc tous les joueurs sont des terroristes.  »

C’est absurde mais fort plaisant pour qui cherche une explication simpliste.

Faisons court, les études sur le sujet ne démontrent pas de liens entre jeux vidéo et violence. Aucun.

Qu’est ce qui motive les tueries de masse ?

Vaste sujet, auquel il est impossible de répondre dans le cadre d’un article sur le jeu vidéo.

Sur le fond, les raisons et inspirations sont multiples. Quels points communs entre Omar Mateen, Charles Manson, Andreas Baader ou Stephen Paddock ? Aucun.

Au mieux, identifiera-t’on des séquences aux traits communs. Les effets de mimétisme ont probablement ici un effet non négligeable.

Le jeu vidéo comme outil de propagande

S’il est avéré que les jeux vidéo ne sont pas liés à la violence, et en particulier le passage à l’acte, l’inverse n’est pas vrai. La réalité inspire souvent les éditeurs de jeux vidéo. Quitte à y trouver de sinistres provocations.

Daesh

Certes l’État Islamique a développé une stratégie pour séduire la jeunesse, et a effectivement utilisé le jeu vidéo à cette fin. Il est également vrai qu’il s’est aussi servi des messageries de jeux pour communiquer discrètement.

Néanmoins, il faudrait faire preuve de très mauvaise foi pour y voir un élément déterminant. La vérité c’est que Shâm, ou Nouveau califat, offrait surtout des perspectives nouvelles à une jeunesse désabusée et donc ouverte à une – funeste – aventure .

Les USA

Les familles américaines ont beau jeu de mener une bataille culturelle pour protéger la vertu de notre bonne vieille Amérique, il n’en reste pas moins que la plupart des jeux réservent la part belle aux héros stazuniens. Et pour cause, la plupart des studios sont américains. Un phénomène plutôt bien vu par l’effort de guerre américain, même si la tentation de réécrire l’histoire est grande.

wallpaper call of duty america
‘Murica !!!

 

Et au registre des tueries de masses, il serait sage de ne pas oublier qu’un grand nombre de ces meurtriers sont des produits tout à fait américains, nourris au biberon patriotique.

Conclusion

Vous l’aurez compris, on ne goûte pas vraiment cette explication de la violence par les jeux vidéo. Le discours est éculé, de nature très conservatrice, et s’imagine toujours novateur au bout de 20 ans. Mais surtout, en concluant que le jeune est influençable, et que par conséquent tout l’influence, ce narratif déplace la responsabilité de la violence. Un raccourci qui permet de décréter qu’un film, un livre, un jeu, un morceau de rap suffisent à provoquer un passage à l’acte.

De fait, ces explications hors d’âge proposent des solutions elles aussi hors d’âge : censure, limitations diverses et variées, grandes théories sur l’autorité, l’éducation, etc.

Faut pas s’étonner de se retrouver avec un SNU dont la promotion était confiée à Tibo Inshape.

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