06 décembre 2023 | Temps de lecture : 8 minutes

Identité et identitaires

C’est quoi l’identité ? Ah, ça a l’air simple comme ça, mais ça fait partie de ces questions ingénues dont la réponse n’est jamais anodine. C’est la question que nous avons posée sur notre page Facebook. Et les réponses ont été aussi passionnantes que variées. Aussi avons-nous décidé de rédiger ce court article pour répondre à tout le monde et expliquer notre démarche.

illustration c'est quoi l'identité

Nous commencerons par résumer vos réponses, puis nous donnerons notre version. Enfin, nous verrons ce que ça veut dire pour les identitaires, et ce que ça raconte également sur nous.

Résultat de la consultation

À l’origine, la question qui a agité les Debunkers a été celle-ci : doit-on laisser le concept d’identité à l’extrême droite ? Il faut toujours se méfier de ce type de formulation, qui peut largement justifier de tenir des discours fascistes sous prétexte de ne pas laisser le thème à l’autre, comme c’est le cas pour l’immigration ou le sentiment d’insécurité.

D’où l’idée de vous poser la question à vous.

capture facebook identité
La question que nous avons posée à nos lecteurs.

Nous dégageons dans vos réponses quelques tendances nettes.

L’identité de papier

L’identité est gravée dans le marbre de la carte d’identité, elle se résume à un nom, une date de naissance, une nationalité. De fait, c’est une lecture tout à fait audible, mais restrictive. Elle se contente d’une définition administrative, admettant l’ascendance, la descendance, des lieux de naissance et de vie, mais selon une approche purement formelle.

Dans le même registre, on ramène l’identité à l’étymologie du mot.

XIVe siècle, identité. Emprunté du bas latin identitas, « qualité de ce qui est le même », dérivé du latin classique idem, « le même ».
Source

L’identité comme carcan

Pour beaucoup d’entre vous, c’est une somme d’étiquettes, un poids, une contrainte dont on ne se défait pas. Pire que ça, l’identité porte en elle quelque chose d’immuable, le poids du déterminisme. C’est une façon arbitraire de résumer une vie, la complexité d’un individu à des caractéristiques discutables.

L’identité comme fluide

Mais on trouve le contrepied à ce carcan, l’identité est fluide, changeante, on la fabrique nous-même par ce que nous réalisons. L’identité est un terrain d’aventure, et le mot qui revient est « vaste », mais également « floue », « en mouvement » et « multiple ».

Pour finir, l’identité a souvent été difficile à définir, et certains d’entre vous ont concédé ne pas s’être vraiment posé la question auparavant. Si on doit trouver un dénominateur commun à tous ces commentaires, c’est l’échelle. En effet, chaque individu a sa propre identité, il en existe donc autant qu’il existe d’individus sur cette planète.

Et comme deux de nos lecteurs l’ont judicieusement rappelé, c’est aussi un morceau de Camera Silens.

L’identité, une construction politique

Alors, on fait quoi de tout ça ?

Une définition acceptable de l’identité ?

Partons de ce que nous avons et tentons de proposer une définition qui serait en adéquation avec nos valeurs.

  • Pour commencer, l’identité n’existe que grâce à la confrontation aux autres. L’antonyme d’identité est altérité, comprenons ici : « ce que nous avons de commun et de différent ».
  • Ensuite, comme nous l’avons vu, c’est une affaire individuelle. Chaque individu a une identité propre, comme l’ADN.
  • Puis, ce « commun » va de l’échelle individuelle au collectif. Comme nous le verrons ensuite, c’est une lecture à rebours de ce qu’est le logiciel identitaire.
  • Et enfin, l’identité est une construction. Les critères choisis pour définir l’identité sont le fruit d’un choix, et l’identité ne saurait être résumée à un seul caractère immuable et hérité. C’est justement tout l’enjeu qu’il y a à briser les déterminismes : ne pas se laisser enfermer dans une identité.

Est-ce vraiment utile ?

Alors, une fois qu’on a posé ce cadre (et nous l’avons posé ensemble), on peut légitimement se poser la question de l’utilité. Intuitivement, on en revient très vite à l’idée d’un concept qui sert à déterminer le cadre des normes. Et c’est peut être là qu’on va trouver une façon d’interroger intelligemment la notion d’identité : questionner les normes.

Toute société fabriquant des normes, l’enjeu est surtout de savoir si ces dernières s’enkystent dans des traditions figées, immuables et terrifiées par l’idée de changement ou d’évolution.

Les identités LGBT

Et s’il y a bien un registre où la question de l’identité est omniprésente, c’est celui des LGBTQIA+, pour qui le cadre est parfois un mur que l’on percute brutalement : l’orientation sexuelle ou la transitude questionnent la norme. Dit comme ça, ça va.

Le coming-out

Sauf que le vivre, c’est se confronter à toute la violence de sociétés qui ont du mal à considérer ce qui sort de son « cadre traditionnel ». En d’autres termes, l’identité se construit ici sur l’altérité, et l’affirmer est symbolisé par un geste fort d’auto-affirmation, le coming-out.

Formulons une évidence. Dans une société hétéronormée (où les hétérosexuels sont la norme), les hétérosexuels n’ont pas à faire de coming-out. Comprendre ici qu’ils n’ont pas eu, en règle générale, à faire face à un questionnement sur leur orientation sexuelle, celle-ci coulant de source. C’est une façon de montrer ici que l’identité est également subie, mais qu’il est possible de se la réapproprier.

(À ce moment là de notre article, il n’est pas inutile de rappeler que la norme n’est pas la normalité.)

La pensée straight

Pour Monique Wittig, dans son essai La pensée straight publié en 1992, l’hétéronormativité est un système politique qui repose sur une notion arbitraire : la binarité des genres. Elle propose donc une remise en question de ce système avec le lesbianisme politique, un exercice de pensée radicale qui fait littéralement fondre la rédaction de Causeur.

Haro sur les hétéros, capture causeur anti-féministe
Oh non, une panique morale !

Là encore, on retrouve la remise en question de la norme sous le prisme de notre identité. Elle n’est plus subie, et devient au contraire une fierté, un motif de lutte et la raison intrinsèque de l’émancipation : sortir d’un système normatif (en l’occurrence, le patriarcat qui structure notre société avec ses privilèges, ses rapports de domination, etc…)

Quand Simone de Beauvoir écrit « On ne naît pas femme, on le devient », elle pose la question de l’identité. Celle-ci n’est plus une nature, un état hérité et immuable, c’est une construction sociale, et tout l’enjeu du féminisme est de se le réapproprier.

Les origines multiples : une identité composite

La question du métissage ou des cultures multiples posent la question d’une identité multiple. C’est le cas pour un alsaco-breton qui a la culture de la galette saucisse et de la choucroute. Déjà, on trouve dans les migrations intérieures (les plus importantes en France) deux cultures pouvant être très proches mais qui intègrent chacune une langue, une gastronomie différente. La somme de ces deux cultures est une identité qui est ni l’une, ni l’autre, mais les deux à la fois.

Paradoxe, les doubles cultures sont également perçues comme identité à part d’un côté comme de l’autre :

«Lorsqu’on va au Maroc, on nous traite d’immigrés et lorsqu’on est en France, on nous traite aussi d’immigrés. Donc finalement, c’est où chez nous ? Le détroit de Gibraltar ? »
Jamel Debbouze

C’est encore plus flagrant lorsque les identités ne viennent pas de métropole. L’extrême droite ironise souvent sur l’idée de « race sociale ». En effet, pour eux, si les races biologiques ont été invalidées (et heureusement), alors il n’y a plus de racisme (c’est le mimi, c’est le rara… c’est le miracle!). Sauf qu’il existe bien des discriminations liées à la couleur de peau, l’origine ethnique, etc… Bref, les personnes sont racisées malgré elles par le truchement des discriminations à l’embauche et à la location…

Encore une fois, l’identité se construit sur la différence, mais surtout, elle devient un sujet dès lors qu’elle est questionnée par des pratiques quotidiennes (comme le contrôle au faciès, par exemple).

Le logiciel identitaire

Bon… et nos fafs alors ? Ils y tiennent à l’identité, eux. Qu’est ce qu’ils entendent là ? Qu’est ce qui est si important au point de se revendiquer… identitaire.

Nous contre les autres

Umberto Eco s’attarde sur ce thème : exploiter la quête d’identité de ceux à qui la société n’en fournit pas. On parle ici d’une construction pour la Nation, contre les autres. Voici le passage en question, c’est le 7ème point.

Quant à ceux qui n’ont aucune identité sociale, l’Ur- fascisme leur dit qu’ils jouissent d’un unique privilège – le plus commun de tous : être né dans le même pays. La source du nationalisme est là. Par ailleurs, les seuls à pouvoir fournir une identité à la nation étant les ennemis, on trouve à la racine de la psychologie Ur-fasciste l’obsession du complot, si possible international. Les disciples doivent se sentir assiégés. Le moyen le plus simple de faire émerger un complot consiste à en appeler à la xénophobie. Toutefois, le complot doit également venir de l’intérieur. Aussi les juifs sont-ils en général la meilleure des cibles puisqu’ils présentent l’avantage d’être à la fois dedans et dehors. Aux États-Unis, le livre de Pat Robertson, The New World Order constitue le dernier exemple en date d’obsession du complot.

Nous expliquons d’ailleurs plus en détail l’Ur Fascisme ici ; la quête identitaire est une porte d’entrée pour développer le Nationalisme et le complotisme.

Alain de Benoist

Mais nos identitaires ne se revendiquent souvent même pas des fascistes historiques bien connus. L’un des penseurs de cette question est Alain de Benoist, intellectuel influent de la Nouvelle Droite. Cette dernière a développé quelques singularités par rapport au reste de l’extrême droite.

« Cette revendication du droit à la différence culturelle – le « différentialisme » – permet au GRECE de se présenter, comme l’analyse de P.-A. Taguieff [1994], comme le « parti de la diversité et de la tolérance contre celui de l’uniformité impériale et de la déculturation des peuples ». Ce qui amène le groupe d’Alain de Benoist à prendre de plus en plus ses distances avec le nationalisme expansionniste du temps de la colonisation et donc à se couper des membres du FN, constitué d’anciens de l’Algérie française et de la guerre d’Indochine. »
Source

L’idée même d’identité a tout à voir avec la critique de la modernité : avant la modernité (et le progrès), les sociétés traditionnelles étaient structurées autour d’institutions qui « donnaient du sens à la vie », avec des modes de vie bien établis. Alors, la question de l’identité ne se posait même pas. Mais patatra, le progrès a amené l’immigration qui a tout chamboulé. Mécaniquement, la civilisation occidentale s’est confrontée à d’autres identités, c’est le différentialisme.

L’accomplissement de l’homme est d’être capable de briser les déterminismes sans renier le caractère « objectif », immuable de son identité.

capture identité youtube de benoist
Ah, le bon sens…. ou pas.

Alors évidemment, quand on l’écoute, tout cela n’est pas raciste, juste le constat implacable selon lequel les repères disparaissent. Et, bref, vous connaissez la suite, la société est devenue cosmopoli-queer, tout ça à cause de croyances et de mœurs trop différentes (et de l’égalitarisme).

capture alain de benoist tv liberté

Il s’agit ici d’un courant qui s’inscrit dans la critique de la modernité, sans être pour autant réellement conservateur, ni réactionnaire. Malgré tout, cette identité s’inscrit dans un certain nombre de perspectives présentées : le localisme/régionalisme, l’écologie (mythe prométhéen du progrès technique), bio-conservatisme (transphobie).

Le tout étant présenté sous un angle rationaliste, à l’encontre des superstitions progressistes.

On fait quoi de l’identité ?

Nous pouvons voir l’identité comme un questionnement personnel, voir intime. On pourrait aussi voir ça comme un non-sujet, mais ainsi que nous l’avons vu plus haut, c’est aussi une façon de se construire soi-même.

Encore une fois, nous sommes confrontés à une polysémie. L’extrême droite identitaire a une lecture qui part du collectif, où l’individu est atome (et l’Homme avec un grand H se distingue par des formes d’héroïsme, c’est le surhomme). Nous retrouvons donc plusieurs échelles : civilisation, nation, régions.

Il s’agit là d’une lecture à rebours du progrès social et du combat pour les libertés et l’égalité, où l’identité est devenu un mot tabou sans que l’on cesse pour autant de la questionner. La lecture est d’abord individuelle, puis collective. Les identités collectives sont la somme des identités individuelles, un composite vivant, en perpétuelle évolution. Et on en fait ce qu’on en veut, nous ne sommes pas condamnés à reproduire des traditions qui n’ont plus de sens, tout comme on peut en créer de nouvelles.

En ce sens, l’identité peut être un outil d’émancipation, même s’il convient de le manier avec précaution, tant le terme est un totem des fascistes ethno-différentialistes.

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