28 avril 2023 | Temps de lecture : 10 minutes

Le bingo des Debunkers

Un bon vieux bingo !?

C’est tout ce que vous avez trouvé chez les Debunkers? En tous cas, c’est une bonne façon d’aborder ce qu’est un sociolecte, en tous cas celui des sphères complotistes et d’extrême droite.

Donc faîtes en ce que vous voulez, un jeu d’alcool ou une façon de passer le temps avec l’oncle qui dérape sans fin pendant le repas de famille. Juste dessous, nous allons ajouter une explication succincte de chaque terme, et éventuellement quelques éléments d’autodéfense.

iullustration bingo debunkers
le bingo des debunkers

Les mots du bingo

Maintenant que le jeu est en place, nous allons vous aider à comprendre chaque terme, et tenter de vous donner une piste pour y répondre.

Islamo-gauchisme

On attribue la paternité du terme à Pierre-André Taguieff. Il fait référence à l’influence de la révolution iranienne autant que le petit livre vert de Khadafi qui mêlaient marxisme et pratique rigoriste de l’Islam.

Au XXIème siècle, l’expression désigne les politiques de gauche dont l’attitude est jugée laxiste par rapport à l’islamisme radical. Les personnalités jugées Islamo-gauchistes vont de Jean-Luc Mélenchon à Rokhaya Diallo en passant par Edwy Plenel et Houria Bouteldja.

Que répondre ?

L’islamo-gauchisme est un concept inepte. Il s’agit d’une obsession raciste, et l’adresse au bord politique opposé de ne pas partager cette obsession. Bien sur que la condamnation de l’islamisme radical qui a fait des centaines de morts en France ces dernières années fait consensus.

Mais la gauche ne construit pas son idéologie sur ces obsessions.

Cancel culture

Nous avons parlé récemment de Cancel Culture (nous y racontons l’origine du terme), mais la notion a toute sa place dans notre bingo.

A l’origine, le terme désigne la pratique d’exclusion d’une personne d’une sphère communautaire. En l’occurrence ici, il s’agissait d’influenceurs de la communauté LGBT qui tenaient à mettre à l’écart une personnalité influente en dehors de celle-ci, mais dont le comportement (accusation d’agression sexuelle) avait mis en danger des membres de ce même groupe.

Aujourd’hui, l’expression s’est imposée dans le sociolecte réactionnaire, terrifiés qu’ils sont à l’idée de cet extraordinaire pouvoir qu’ont les réseaux sociaux, pouvoir faire et défaire les carrières des personnalités publiques. L’impact d’une campagne de cancelling est largement surestimé, mais ça n’empêche pas Vladimir Poutine de s’en emparer pour dénoncer la décadence de l’occident.

Que répondre ?

Alors c’est très simple, quand on crie sur tous les plateaux TV qu’on a été « cancelled », c’est qu’on ne l’est pas vraiment.

Je crois au mérite

La croyance en la méritocratie est est un discours hégémonique. Mais dans le sociolecte de l’extrême droite, il vise en général une catégorie de concitoyens soupçonnée de vivre des aides sociales.

Le mythe du self made man est largement relayé par la culture américaine, en France, on loue l’ascenseur social au son de « Quand on veut, on peut ». C’est le socle idéologique de la phrase du président Macron « il suffit de traverser la rue [pour trouver du travail] ».

Que répondre ?

Qu’il suffit alors d’arrêter de travailler et de vivre du RSA si c’est la clé du bonheur. Pour rappel, ce revenu est de 607€ par mois pour un homme seul, ce qui pour un fin observateur de la vie actuelle qui râle sur l’augmentation des prix devrait être assez parlant.

Rajoutons qu’il n’est pas automatiquement versé, que pour l’obtenir il y a des démarches et que son versement peut être suspendu à la première occasion.

Accessoirement, on peut toujours demander si les millions d’ouvriers et agriculteurs ne sont pas méritant, et pourtant ils n’échappent pas à leur condition.

La théorie du genre

Ha la fameuse théorie du genre, celle qui avait animé les débats de La manif pour tous. Ce terme signifiait que les affreux progressistes voulaient transformer les écoles en lupanar en enseignant que les différences entre les genres n’existent pas. En réalité, il s’agit de travaux universitaires (les études de genre) qui n’ont rien à voir avec les fantasmes réactionnaires.

Que répondre ?

Qu’ils devraient s’interroger sur cette obsession de la sexualité, celle des autres, mais surtout celle des enfants.

Homme soja

L’homme soja ou Soy boy est une stéréotype de personnage né sur les forums en ligne. On en parlait dans notre lexique. Ce terme vise les hommes qui ne présenteraient pas les attributs de virilité prétendument acceptables. Populaire chez les masculinistes, il sert de mot valise pour railler vegans, lgbt, gauchistes, progressistes…

Que répondre ?

C’est un peu difficile de contrer un sobriquet. Il ne sert à rien de défendre ici le contenu, si ce n’est demander quel est son rapport à la virilité, et pourquoi est-ce si important ?

Politiquement correct

Carrément un diktat ! Les éditorialistes s’en émeuvent, le discours a du être lissé à tel point que tout ce qu’ils ont à dire n’est plus acceptable. Le terme est péjoratif et équivaut à une accusation de langue de bois, pour ne heurter personne.

Comme tout le reste du sociolecte réactionnaire, il s’agit de s’en prendre aux minorités qui auraient un traitement de faveur.

Que répondre ?

Tant mieux si c’est politiquement correct alors, c’est même une fierté.

Je suis apolitique

« Moi je parle avec tout le monde » est un gimmick que l’on croise constamment. L’apolitisme serait donc une position qu’on pourrait résumer comme « ni de droite, ni de gauche ». Si on peut légitimement ne pas aimer les partis politiques et la façon de la pratiquer, on ne peut pas vivre hors du monde. La posture assumée « au dessus de la mêlée » est une volonté de ne pas s’attacher d’étiquette autant que de ne pas s’encombrer du débat politique qui pourrait créer des tensions.

Que répondre ?

Tout est politique. Et quasi-systématiquement, l’indication de l’apolitisme de l’orateur précède un propos politique qui sera logiquement situé sur le spectre.

Transactivisme

Véritable théorie du complot, le transactivisme est une création récente. Il s’agirait en fait de faire la promotion de la transition, y compris auprès des enfants (voir théorie du genre) et de mieux écraser le féminisme, en niant des principes biologiques.

Que répondre ?

Il n’y a pas de plans transactivistes, car le transactivisme n’existe pas. Les personnes transgenres sont une infime minorité qui subit déjà violence et relégation. La reconnaissance des droits des personnes trans fait parti des luttes LGBT.

Dictature sanitaire

Le cri de guerre des antivax et antimasques ! Il fallait une pandémie pour les voir apparaître, mais la santé a toujours inspiré les esprits chagrins. L’apparition d’une nouvelle maladie comme le Covid était peut être une évidence pour les spécialistes, mais pour l’essentiel c’était un choc. Et en attendant d’en savoir plus, il a fallut protéger tout le monde. Une vraie contrainte dont la gestion des états a été largement remis en question, parfois de façon tout à fait légitime.

Que répondre ?

Qu’ils n’ont qu’à aller dans une vraie dictature pour voir ce que c’est. Peut-être que le charme des vies birmanes ou syriennes leur plaira finalement.

Rappelez que le Covid a tué presque 7 millions de personnes, et que sans ces mesures sanitaires à grande échelle, ça aurait été beaucoup plus.

Gauche pastèque

Vert dehors, rouge dedans ! La gauche pastèque est une expression qu’on retrouve dans la bouche de jean-Marie Le Pen lorsqu’il parlait du parti Les verts, qui deviendront EELV. L’idée c’est que derrière l’écologie se cacherait le communisme, une approche sournoise pour arnaquer les innocents électeurs qui voudraient voter pour protéger l’environnement et se feraient avoir. Une  machination infernale.

Que répondre ?

Que c’est évidemment faux, dans les faits, les partis écologistes aujourd’hui relèvent plutôt d’un centre gauche social-démocrate, pas des gauches communistes. Mais de toute évidence, le modèle capitaliste est fortement remis en question dans sa propension à essorer les ressources naturelles.

Et quand bien même ça serait vrai, et alors ?

Wokisme

C’est le mot à la mode. Nous racontions l’histoire du mot ici, des luttes pour les droits des minorités aux USA jusqu’à Black Lives Matter. Le terme est arrivé en France par l’intermédiaire des observateurs réactionnaires. Si il a une dimension positive dans notre chère Amérique, ici c’est péjoratif.

Woke est un mot fourre-tout, comme l’a été « bobo ». Autant au début, il peut viser une catégorie précise, autant très vite, ça ne veut plus dire grand chose, tant ça englobe de choses, les mondialistes cosmopolites, les invertis, les pas assez blancs… Le mot a pris la relève du social justice warrior.

Que répondre ?

Qu’il va déjà falloir pour celui qui accuse d’expliquer ce que le wokisme signifie, en une phrase. Et si il s’agit d’incriminer ceux qui défendent les droits des minorités, alors c’est un honneur, prenez le comme un compliment.

Droit-de-l’hommisme

C’est un grand classique et il a toute sa place dans notre bingo. Ha ces humanistes qui enquiquinent le monde avec leurs principes. Il faudrait arrêter de tergiverser avec ces minorités, ces sans-papiers, ces criminels….

Oui il faut dire que les défenseurs des droits de l’homme enquiquinent souvent le pouvoir à défendre ceux que personne ne veut défendre (comme par exemple l’abolition de la peine de mort, les conditions de vie en détention ou en rétention, les contrôles au faciès, l’accès pour toutes et tous à des soins médicaux…).

Donc dans le sociolecte réactionnaire, les défenseurs des droits au sens large sont appelés droits-de-lhommiste.

Que répondre ?

Que c’est la base même de la constitution et qu’un bon patriote ne saurait l’ignorer.

Il sera très difficile de vraiment opposer des arguments chocs, c’est une position morale. Et réfuter les droits de l’homme c’est aussi un choix moral.

Les chances pour la France

« Je ne suis pas raciste, mais…  » Tout le monde connaît cette phrase qui aurait eu sa place dans notre bingo, mais c’était un peu trop facile, alors on a visé un peu plus technique avec « les chances pour la France ». C’est le titre d’un livre de Bernard Stasi qui a été détourné notamment par Mike Borowski ou Breizh Info pour qualifier les jeunes issus de l’immigration.

Que répondre ?

C’est de toute façon un postulat si raciste que rien n’y fera. Rappelez tout de même que nous sommes tous issus d’une manière ou d’une autre de l’immigration, et même qu’un quart des français ont au moins un grand parent étranger.

Transhumaniste

En 2100, nous aurons trouvé le secret de l’immortalité ! Ou peut être pas. En tous cas, les modifications du corps pour vivre plus longtemps sont un sujet éthique important. Les progrès conjugués des sciences et de la technique laissent imaginer des applications extraordinaires.

Mais c’est également un terrain d’angoisses et d’expression des dérives morales, le transhumanisme serait une voie d’exploration d’aventuriers irresponsables cherchant le secret de la vie éternelle. Cette même marotte qui agite les milieux complotistes quand il s’agit d’allonger la durée de vie en consommant de l’adrénochrome. Une telle technologie serait réservée à une élite friquée.

Il y a un opposé également, le primitivisme qui rejette à peu près tout progrès au nom de la nature et d’un mode de vie compatible sans capitalisme.

Que répondre ?

La plupart du temps, cela relève de la science-fiction. Et les progrès fait en la matière laissent penser que c’est encore loin d’être une réalité tangible. Enfin, la médecine et la technologie arrivent pour le moment à palier des handicaps par des prothèses et des outils qui améliorent la vie des personnes concernées.

Racisme anti-blanc

On peut rarement y couper, pourtant ça commence à dater. Forcément le racisme anti-blanc a sa place dans notre bingo. C’est la réponse de l’extrême droite au discours antiraciste. Insupportable pour les réactionnaires de se retrouver du côté des oppresseurs historiques, dans un système, donc pour parer à un discours qui incrimine l’ensemble de la société, il a fallu créer le racisme anti-blanc.

Ce discours repose sur les trop rares affaires où une personne non-blanche a justifié un geste ou une parole par la blanchité de sa victime. Un nombre ridiculement marginal au regard d’un racisme ancré dans la société, malgré les principes d’égalité. En ce sens, le racisme fait système, le racisme anti-blanc est un épiphénomène.

Que répondre ?

Qu’en France, on a jamais vu une personne blanche se faire refuser un emploi ou une location pour sa couleur de peau. On peut aussi rappeler que les suprémacistes de tous horizons s’entendent finalement assez bien.

Misandrie

Mais que font les féminazguls de leurs journées? Elles font de la misandrie, voyons ! C’est l’inverse de la misogynie, une haine profonde et tenace des hommes, et c’était la réponse logique des milieux masculinistes devant la riposte féministe, ces dernières sont misandres et refuseraient même la parité.

Que répondre ?

Compte tenu de la violence patriarcale, ça ne serait pas un juste retour des choses ? Encore une fois, il s’agit d’un système, le patriarcat, et l’argument de la misandrie relève du même mécanisme que le racisme anti-blanc.

Citez le nombre de féminicides.

Choisis la pilule rouge

Take the Red pill a une place toute trouvée dans notre bingo. Slogan masculiniste, réactionnaire et complotiste, il illustre le choix de la prise de conscience d’une grande machination. À l’origine, ça vient du film Matrix où le personnage de Morpheus propose à Néo de choisir entre deux pilules, la bleue pour rester dans son aveuglement, la rouge pour se réveiller.

C’est le titre d’un documentaire masculiniste qui a largement popularisé l’idée. Pour certaines femmes, c’est également un modèle de vie qui rejette le féminisme.

Que répondre ?

Nous avons ici un élément très spécifique à une démarche pro-active masculiniste. Demandez à expliciter le propos, mais déjà c’est souvent trop tard.

C’est ma liberté

Slogan des anti-masques et pass sanitaire pendant l’épidémie de Covid. C’est à peu près la même chose que l’invocation de la dictature sanitaire. Nous avons pu voir souvent ce slogan dans les manifestations de Florian Philippot.

L’idée était d’opposer une liberté constitutionnel à l’urgence sanitaire. Que les gouvernements aient pu mal gérer cette épidémie, c’est indéniable. En revanche, il n’y avait à un moment, pas d’autres alternatives. Nous avons pu voir à nouveau tourner ce slogan contre la vaccination, avec une récupération de l’étoile jaune imposée aux juifs pendant l’occupation, ainsi que du slogan féministe « mon corps, mon choix ».

Que répondre ?

Que la liberté n’existe pas sans cadre et qu’elle a des limites comme l’intérêt collectif. La liberté est bien sur une notion à questionner constamment, mais dans ce contexte, l’invocation de la liberté est surtout un individualisme forcené. Appelons ça de l’égoïsme.

On peut plus rien dire

Halala, quelle époque où on ne peut plus s’exprimer sans être accusé de toutes les oppressions possibles. On-peut-plus-rien-dire ! Si votre interlocuteur râle à ce sujet, c’est qu’il avait l’intention d’étaler son racisme, son sexisme et son regard réactionnaire sur le monde.

Que répondre ?

Et que finalement, il le fait quand même, comme quoi, il peut encore le dire. Il voudrait juste ne pas être taxé de ce qu’il est. Mais les paroles ont des conséquences.

Ayatollahs verts

L’écologie radicale devient rigoriste ? C’est un terme qui vient des milieux de la droite dure qui se voit elle-même comme opposante au principe même d’écologie, menace pour le productivisme. Sans surprise, on le retrouve dans des discours de la FNSEA, mais également chez les climatosceptiques. Le terme fait bien évidemment aux ayatollahs iraniens (voir islamo-gauchisme) et consiste à associer l’écologie à un diktat.

Que répondre ?

Ne surtout pas répondre par une défense islamophobe pour commencer. Mais vous pouvez toujours rappeler que nous ne vivons pas dans une dictature et que jusqu’à présent, c’est surtout les marchés qui décident des cultures, pas une autorité religieuse.

Et si vous vous en sentez le courage, vous pouvez rappeler les réalités des rapports du GIEC. Et quiconque a une vraie compétence en matière de culture a pu constater que ces dernières décennies, les floraisons arrivent trop tôt, le gel trop tard, et les sècheresses sont plus fréquentes.

Pour conclure

Au sujet de l’autodéfense, il faut toujours garder en tête que celui qui a remplit cette grille de bingo est probablement complètement imprégné de ce discours et qu’avoir réponse à tout ne fera pas de vous un contradicteur intéressant. Vous deviendrez juste un-e gauchiasse pénible qui défend l’immigration et l’assistanat.

En revanche, gardez en tête que dans un repas de famille ou dans une soirée entre amis, même si vous risquez d’agacer, vous avez l’opportunité de limiter l’imprégnation de ce discours.

Courage !

 

To top