08 avril 2024 | Temps de lecture : 27 minutes

La tragédie Rwandaise

De la racialisation coloniale au racisme d’Etat : la fabrique de la haine

À la fin, un génocide

L’étincelle

La tragédie débute dans la nuit du 6 au 7 janvier 1994, au soir même de la mort du président Juvenal Habyarimana. L’avion qui le transportait a été abattu au-dessus de Kigali. Au cours de cette première nuit sont d’abord assassinés les Hutus modérés ou opposants du parti au pouvoir, le MRND. Les massacres de tutsis, hommes, femmes et enfants, jeunes et vieillard(e)s  commencent méthodiquement, d’abord à Kigali, avant de s’étendre très rapidement à toutes les collines du Rwanda.

photo rwanda machettes
La « saison des machettes » vient de commencer.

Les massacres ne cesseront qu’entre le 4 et le 17 juillet, lorsque le FPR (Front Patriotique Rwandais) prendra le contrôle de Kigali, puis du territoire tout entier.

Un génocide dans la joie et la bonne humeur

En quelques 100 jours, jusqu’à la mi-juillet 1994, entre 500 000 et 1 millions de Tutsis seront systématiquement massacré(e)s au son des chants religieux et dans la joie collective des porteurs de machette. Sur le terrain, ces joyeux tueurs et « travailleurs » consciencieux sont encadrés par les Interahmawe, milices de jeunesse issues du parti présidentiel. Elles réunissent chaque matin les cultivateurs des villages, les comptent, les chauffent et distribuent les tâches. C’est qu’exterminer est un « travail » ; on « défriche », on « coupe », et on rentre à la maison avant la nuit tombée pour fêter dans la joie la tâche du jour bien accomplie.

Comment en est-on arrivé là ?

Une chronologie

« Les Bahutu : définis comme des Bantu agriculteurs et pasteurs. Une longue cohabitation avec des populations de “ stock hamite ” pourrait expliquer la fréquence de caractères anthropologiques nonnégroïdes comme le nez haut et étroit.
– Les Batutsi, qui constituent environ un tiers de la population, auraient pénétré le pays il y a quelques siècles et dirigé depuis, « dominant les Bahutu par leur intelligence et par leur prestige physique et en utilisant peu la force. Grands (1,76 m en moyenne), minces avec de longues jambes, une longue face, un nez haut et étroit, (indice nasal moyen : 70), ils diffèrent beaucoup des Nègres en dépit de la couleur de leur peau et de leurs cheveux laineux« .
Jean Hiernaux, anthropoloque, 1952

1885 : A la conférence de Berlin, le Rwanda revient à l’Allemagne.

1900 : Les Pères blancs fondent leur première mission

Alleluïa !

1919 : À la faveur de la Première Guerre Mondiale, les belges chassent les allemands.  Ils obtiennent le protectorat. Le Rwanda est englobé avec le Burundi voisin dans un « Territoire du Ruanda-Urundi »,  officiellement sous « mandat » de la SDN à partir de 1924.

1931 : L’administration belge introduit la carte d’identité avec mention de « l’ethnie ».

1er novembre 1959 : Début de la « révolution sociale et politique » rwandaise, menée par les élites Hutus. Le pouvoir Tutsi est renversé. Les massacres de « la Toussaint rwandaise » font des dizaines de milliers de morts tutsis. Autant se réfugient dans les pays voisins.

Juin-juillet 1960 : Victoire des partis hutus aux élections communales

1961 : Coup d’État de Grégoire Kayibanda. Il proclame la République et en devient le premier Président. En 1957, il avait fondé le parti Parmehutu.

1962 : Indépendance du Rwanda.

1963 : Suite à une offensive des exilés tutsis sur le Rwanda, les représailles massives font 10 000 morts chez les Tutsis et provoquent l’élimination de leurs leaders. Fin 1967, environ 200 000 tutsis sont désormais réfugiés à l’étranger, 20 000 sont morts. Le 17 janvier 1964, le journal Le Monde décrit, par les yeux d’un correspondant sur place :

 » C’est dans la préfecture de Gikongoro. poursuit-il que cette répression semble prendre la plus grande ampleur. Encouragés par certaines des autorités, les Hutus attaquent les huttes des Tutsi ; armés de lances et de massues, ils massacrent tous les Tutsi qu’ils peuvent atteindre et jettent leurs cadavres à la rivière. Quatre mille Tutsi parvinrent à se réfugier à la mission de Kadwa deux mille cinq cents à celle de Cyanika. Les autres, sept ou huit mille, sont probablement morts. La Nyabarongo charrie des cadavres. « […Cette répression] constitue, elle, un véritable génocide. »

Et, le 4 février suivant, publie la lettre sans équivoque de M. Vuillemin, détaché par l’Unesco comme enseignant à Butare :

« La répression exercée dans la préfecture de Gikangoro constitue […] un véritable génocide. Excitées par le préfet, les bourgmestres et les commissaires du Parmehutu, des bandes de tueurs exterminèrent systématiquement, du 24 au 28 décembre, les Tutsis. Dans la plupart des cas les femmes et les enfants ont été également assommés à coups de massue ou percés de lances. Les victimes sont le plus souvent jetées dans la rivière après avoir été déshabillées. Le nombre total de morts est difficile à évaluer ; on peut cependant tenir pour certain celui de 8 000 et pour probable celui de 14 000 dans la seule préfecture de Gikangoro. Le fait qu’une extermination systématique n’a été appliquée que dans cette préfecture prouve que ces massacres ont été organisés ; il y a lieu de craindre qu’il en soit de même pour d’autres préfectures et qu’un plan de «  nettoyage  » soit établi ».

Le gouvernement de Kaybanda n’a pas un mot contre ses massacres mais ne les nie pas non plus. Ils s’expliquent selon lui par

« la barbarie naturelle de Gatutsi qui a refusé de renoncer à la barbarie, mais qui l’a perfectionnée depuis qu’il est à l’étranger« .
(Discours du 27 janvier 1964).

Le 11 mars 1964, Grégoire Kayibanda prononce un discours en quelque sorte programmatique de ce qui se passera en 1994. Dans une anaphore édifiante, il prononce 6 fois en 4 pages le mot de génocide :

« Qui est génocide ? […] En supposant que vous réussissiez l’impossible en prenant d’assaut la ville de Kigali, expliquez-moi un peu comment vous imaginez le chaos qui résulterait de ce coup d’éclat et dont vous serez les premières victimes ? […] Ce serait la fin totale et précipitée de la race tutsi. […] Que ces complices en subissent les conséquences, il n’y a rien de plus normal. »

Apparition du mot  Inyenzi (les cafards) pour désigner les Tutsis.

1972 : Massacres perpétrés par des extrémistes Hutu contre les Tutsis au Burundi. La répression se mue rapidement en massacres systématiques de l’élite hutu – cadres, enseignants, mais aussi collégiens – faisant 100 000 à 300 000 morts selon les estimations. La qualification de génocide fait encore débat au Burundi et parmi les historiens.

1973 :

  • Instauration des quotas limitant l’accès de Tutsis à l’éducation et à l’emploi public.
  • Nouvelle offensive des Tutsis de l’extérieur. Au Rwanda, de nouvelles vagues de persécutions anti-Tutsis sont déclenchées. Juvenal Habyarimana reproche à Kayibanda de menacer l’unité nationale. En juillet, il s’empare du pouvoir à l’issue d’un coup d’État militaire et dissout le Parmehutu. Il promet unité et réconciliation. De fait il n’y aura plus de massacres de tutsis pendant 15 ans.

1978 : Nouvelle constitution. Le MNRD, le parti présidentiel, devient parti unique. Habyarimana est élu avec 99,98% des voix.

1987 : Fondation du FPR, Front patriotique rwandais en Ouganda.

1991 : En janvier, le FPR ouvre un nouveau front dans la région de Byumba, dans le nord-est.

1992 :

  • Les Interahamwe, à l’origine, en 1987, mouvement de jeunesse du MNRD, se transforment en milice. Leur nom signifie “ceux qui attaquent ensemble”. Ces milices sont entraînées et armées par l’État, voire par la France en la personne du Détachement d’Assistance Militaire et d’Instruction (DAMI).
  • Les États-majors de l’armée reçoivent l’ordre de constituer des listes d’ennemis et de complices (entendre les tutsis et les hutus modérés.)

Janvier 1992 : Signature des premiers accords d’Arusha

28 janvier 1993 : Jean Carbonare, Président de l’association Survie, alerte les téléspectateurs français le 28 janvier 1993 sur les massacres des hommes tutsi et sur le soutien apporté par la France aux tueurs.

1993 :

Il est l’un des principaux instigateurs du génocide de 1994.

Accords d’Arusha, août 1993. En haut Juvenal Habyiarimana. En bas les représentants du FPR, dont Paul Kagame (à gauche). Montage à partir de captures d’écran.
  • 21 octobre : au Burundi, assassinat du président hutu Ndadaye.
  • Décembre : après plus de trois ans de présence, les troupes françaises de l’opération Noroît (600 militaires) quittent le Rwanda et laissent la place à la MINUAR.

6 avril 1994 : L’avion qui ramène les présidents du Rwanda et du Burundi, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira est abattu.

L’étincelle qui enflamme la poudrière accumulée depuis plus de 100 ans

La société rwandaise… avant

Tu deviens tutsi, je deviens hutu…

La distinction hutu, tutsi et twa a toujours existé dans la société rwandaise. Mais elle n’avait aucune signification « ethnique ». Etre tutsi ou hutu faisait partie du bwoko. C’est un mot difficile à traduire qui désigne peu ou prou une identité sociale. Quelque chose comme un rang ou un ordre (au sens de « différentes classes subordonnées entre elles qui composent un État ») : on était tusti ou hutu comme on était professeur ou agriculteur, ou comme on était du sud ou du nord. Ces catégories n’étaient pas figées. Une personne jusque là hutu pouvait devenir tutsi, par mariage, par filiation, ou encore changement de position sociale. Et inversement. C’est ainsi que, comme un berger peut devenir éleveur (dans l’absolu), un hutu pouvait devenir tutsi. Tout le monde parlait le kinyarwanda et une même culture rassemblait le Rwanda.

C’était quand même pas le paradis

On ne passera pas sous silence que le mwami, le roi, était Tutsi, qu’il régnait en maître sur des petits royaumes hutus. La société rwandaise n’était pas forcément pacifique, les conflits de lignage, les vols de bétails, les velléités de conquêtes territoriales ou des différends fonciers pouvaient donner lieu à des meurtres et des guerres. Elle était également inégalitaire : aristocratie, propriétaires fonciers et éleveurs (généralement tutsis), commerçants, cultivateurs, serviteurs et enfin, les  journaliers, pauvres parmi les pauvres.

Le système économique était réglé par l’ubuhake, une relation non monétaire. C’est un contrat par lequel un éleveur tutsi (shebuja = patron, chef) prêtait une vache à un cultivateur tutsi (umugaragu = client). Le client est évidemment tenu à un nombre certain et très codifié d’obligations vis à vis de son patron mais peut vendre le lait, le beurre, la viande et les peaux de la vache. Le patron est lui aussi soumis à des obligations envers son client. Les Tutsis le décrivirent ensuite comme un système de bail non-coercitif, d’autant plus que, selon eux, le client, montant dans l’échelle sociale, pouvait un jour devenir tutsi. Les hutus quant à eux, le présentèrent comme un système esclavagiste. Ce système profitait seulement au propriétaire qui pouvait reprendre sa vache quand il le souhaitait et vivait ainsi du travail de son obligé.

« Et devant lui, le client, en haillons, manifeste sa joie en dansant face à la vache qui vient de lui être confiée. »

Par ailleurs, de fortes dissensions opposaient également les populations du nord et du sud. Au nord, les bagikas résistaient à la domination du mwami et refusaient de payer le tribut. Le roi, évidemment, ne s’en satisfaisait pas et quelques razzia bien cruelles réglaient provisoirement l’affaire. En 1900, il régnait essentiellement sur le sud, dont la population était appelée banyanduga.

Kigeli IV Rwabugiri

En bref, et comme le dit Gérard Prunier, le Rwanda d’avant la colonisation n’était « ni enfer « féodal » ni paradis « africain ».

La « théorie hamitique »

Heureusement il y a la bible !

En 1900, les Pères blancs débarquent au Rwanda avec leur élan missionnaire et les canons de l’historiographie européenne. Celle-ci est alors dominée par une vision où les populations sont le sédiment des invasions successives de peuples ou « ethnies ». Les historiens et autres anthropologues sont imprégnés de l’historiographie et racialiste inspirée par Gobineau et Paul Broca. Ils notent que la société est dominée par les Tutsis, élancés, fins et à la peau caramel.

Comment un être aussi délicat et « naturellement » dominant pourrait-il être noir ? Et bien tout simplement parce que ce n’est pas … un noir !  Toujours à l’aide des théories racialistes, on tire par les cheveux une ethnie « hamite » (du nom Cham). Qui est Cham ? Dans la bible il est le fils d’Abraham. Bon là, on s’accroche car les histoires de famille sont toujours un peu compliquées. Surtout quand elles sont revues et corrigée par la religion. Donc, toujours dans la Bible, il est dit qu’Abraham, suite un épisode éthylique, bannit Canaan, fils de Cham, et donc son propre petit-fils.

Ce petit fils maudit et sa descendance sont condamnés par l’aïeul à devenir esclaves. Canaan se serait exilé. Il est désigné par l’exégèse chrétienne comme le premier des noirs (ben oui, il avait tellement honte qu’il est devenu tout noir sur le coup)…

Va rôtir en Afrique enfer !

Un lignage providentiel

On passera rapidement sur le fait que cela a justifié l’esclavage pendant des siècles. Mais – parce qu’il y a un mais – Abraham n’avait pas banni le père de son petit-fils, à savoir Cham son fils. Tout le monde suit ? Cham lui-même n’est donc pas tout à fait maudit. Et bien tant mieux, on va en faire le père des peuples à la peau caramel comme les égyptiens, et les… tutsis, sorte de cousins des blancs. Ceux-ci seront donc les descendants de tribus hamites.

« Ces seigneurs bouviers… d’où viennent-ils ? Quand on arrive de la Haute Égypte ou des plateaux d’Abyssinie au Ruanda, on les reconnaît de suite. On les a déjà vus ces hommes de haute taille, atteignant la moyenne de 1, 79 m […], minces de corps, aux membres longs et grêles, réguliers de traits, de port noble, graves et hautains… Ils ont le type caucasique et tiennent du sémite de l’Asie antérieure […] Avant d’être ainsi nigritisés ces hommes étaient bronzés. Les Grecs, qui les avaient […] rencontrés sur le littoral méditerranéen, à Jérusalem comme à Alexandrie, avaient été frappés de leur teint foncé et les avaient appelés « Visages-Brûlés »-Aethiops… Les Arabes traduisirent dans leur langue « éthiopien » par « hamite », mot qui signifie « brun-rougeâtre » [sic]. »

Chanoine Louis de Lacger, Ruanda, 1939-1940.

Ouf, les tutsis sont de « faux nègres » ! Les « autres », hutus et twa quant à eux le sont bien, et qui en douterait en voyant leur faciès et leur morphologie.

Il était une fois, la « race des seigneurs » tustis.

Paix, amour… et conversion

La noble et élancée « ethnie » tutsi domine la société rwandaise à majorité Hutu. Bon sang mais c’est bien sûr, comme les francs ont immédiatement, de par leur noblesse naturelle, dominé les gaulois lorsqu’ils ont envahi ce territoire de rustres !

« À partir du XVIe siècle, s’y développe le mythe d’une origine franque de la noblesse française. Ce mythe présente les roturiers comme les descendants des Gaulois ou des Gallo-Romains et les nobles comme les descendants des Francs venus de Franconie, en Germanie. Il y aurait donc eu deux races en France dont l’une aurait conquis l’autre et détiendrait des privilèges […]  Hutu et Tutsi furent ainsi pensés comme l’équivalent des Gaulois et des  Francs de l’histoire de France. » Dominique Franche, Généalogie du génocide rwandais.

C’est ainsi que se forge le mythe…

On retiendra que le Tutsi devient l’étranger civilisé et le Hutu l’indigène pauvre. En même temps, petit détail qui ne sera pas sans conséquence, l’église note que pour avoir ainsi conquis le pouvoir sur une majorité bantou (twa et hutus), il faut bien être un peu fourbe…

Cette théorie profite au colonisateur belge. En 1931 l’administration met en place la carte d’identité avec mention des races ethnies.

Carte nationale d’identité d’une jeune femme, dont le nom de famille d’Uwimana, est affichée à l’emplacement de sa mort, l’église de Ntarama, devenue un des Mémoriaux du Génocide.

Une société traditionnelle « remastérisée »

En 1931, quand Mutura III Rudahigwa, monte sur le trône, il est l’étoile morte qui brille au firmament d’un Rwanda fantasmé par l’Église et les autorités. L’Église, qui a « réussi son coup » puisque si le père, Musinga, ne s’était pas encore converti au christianisme, son fils, Rudahigwa, a sauté le pas.  L’esprit de conversion ruisselle alors sur la population tutsi ; c’est le moment de « la tornade du Saint-Esprit ». En 1943, au moment où Mutura III Rudahigwa est baptisé, l’Église est devenue l’institution la plus puissante du pays. Pendant ce temps, dans le monde réel, l’élite tutsi à majorité catholique accède à la direction des administrations locales et du système contractuel économique, un néo-ubuhake. De l’ubuhake pré-colonial à celui-ci, l’administration belge a transformé une structure de subordination collective non monétaire en une relation de subordination individuelle monétisée. Ce néo-ubuhake atomise et dynamite la société rwandaise en même temps qu’elle la rigidifie. Les belges ont réussi à s’appuyer sur les traditions tout en les vidant totalement de leur substance. Et même en les subvertissant dangereusement. Autant jouer avec le feu…

Une hiérarchie intériorisée

A l’école des blancs

Dans les années 1930, l’éducation est entièrement dévolue aux missionnaires. Dès lors, les futures élites tutsis sont scolarisées dans les écoles et instituts spéciaux qui, en 1929, totalisent 960 écoliers tutsis instruits pour devenir instituteurs, agronomes, vétérinaires, interprètes, chefs et sous-chefs, tous auxiliaires du gouvernement belge. Ils apprennent également le français.

« Actuellement, si nous voulons prendre le point de vue pratique et l’intérêt vrai du pays, avec la jeunesse mututsi nous avons un élément incomparable de progrès que tous ceux qui connaissent le Rwanda reconnaissent, je crois (…). Mieux que le muhutu, le mututsi aura toujours plus d’influence sur des compatriotes batutsi et bahutu ; plus que tout autre, son autorité sera vite et bien acceptée de tous les batutsi et bahutu. Demandez aux Bahutu s’ils préfèrent être conduits par les bahutu ou par les batutsi : la réponse n’est pas  incertaine, leur préférence va droit aux Batutsi et pour cause ! Chefs nés, ils ont le tact, le savoir faire, le sens de commandement ; leur autorité s’impose sans grand bruits ni grands coups. » Lettre de Mgr Classe à Mr Mortehan, Kabgayi, 12 septembre 1927.

La « prestigieuse » Université Astrida, à Butare, dirigée par religieux flamands, les Frères de la Charité de Gand.

D’autres lieux enseignement, notamment les séminaires, acceptent, à côtés de Tutsis, des élèves qui deviendront l’élite Hutu. Certains de ses élèves hutus étaient ensuite acceptés à l’Université Astrida. Mais Hutus et Tutsis sont biberonnés à la même histoire du Rwanda réinventée par les Pères. Les Tutsis apprennent qu’ils sont de noble ascendance et les Hutus qu’ils leur sont de nature asservis. Or ce sont ces élites qui arriveront au pouvoir dès l’indépendance du Rwanda en 1962. Les Hutus auront retenu que les Tutsis se sentent supérieurs, sont arrogants et les méprisent. Et non seulement ils apprennent cette distinction et hiérarchie, mais ils l’intériorisent. C’est ainsi qu’eux-mêmes vont se définir auprès des occidentaux et des autres rwandais. De là montera un ressentiment qui se transformera vite en haine.

La bascule

La montée des élites Hutus

Le 24 mars 1957, des Hutus venus de l’élite instruite remettent un rapport au vice-gouverneur général belge. Il a pour titre « Note sur l’aspect social du problème racial indigène au Ruanda ». On l’appellera aussi Le manifeste des Bahutus.

En 13 lignes, le mot « race » est déjà employé deux fois pour décrire la relation hutus-tutsis.

Un de ses auteurs est le très cultivé Grégoire Kayibanda. Il est très proche des dignitaires catholiques et  rédacteur en chef du journal catholique Kinyamateka. Il est également bien introduit au sein de l’administration belge. Cela donne à sa parole une audience et une portée non négligeable.

Le Manifeste prétend aborder la question des inégalités sociales sous un angle socio-économique mais il est clair dès le préambule (cf. illustration ci-dessus) que le cœur du problème, pour eux, est racial. Ce manifeste montre comment la théorie raciale collée à la société rwandaise par les pères blancs a été intériorisée par les hutus comme par les tutsis. Ceux répondront en effet au Manifeste par un texte tout aussi racialiste. La race est désormais le point de clivage, ligne de faille préexistante selon laquelle le drame arrivera. Une même théorie pour une inversion de destins. Le piège ethnique s’est refermé sur le Rwanda.

« Notre mouvement vise le groupe hutu outragé, humilié et méprisé par l’envahisseur tutsi. […] Aprosoma [Association pour la promotion de la masse]  [..] c’est un monstre qui va dévorer les tutsis. Nous devons éclairer la masse, nous sommes là pour faire restituer le pays à ses propriétaires; c’est le pays des Bahutu. Le petit Mututsi est venu avec le grand. La forêt a été défrichée par qui ? Par Gahutu. Alors ? » Grégoire Kayibanda, Discours à l’école Astrida, septembre 1959.

La double colonisation

En ces temps de décolonisation, le Manifeste entend se débarrasser de la tutelle belge. Mais il faut d’abord pour cela s’extraire de la colonisation tutsi. Celle-ci serait pire que la colonisation européenne parce qu’elle en  est le bras armé, la courroie de transmission, le canal de domination. Rappelons en effet que les tutsis sont censés être des faux nègres hamites venus envahir et asservir les populations bantoues autochtones. Dans le manifeste, les hutus  dénoncent donc « une colonisation à deux étages » et entendent bien récupérer « leur » pays.

Grégoire Kayibanda (au centre), premier président élu du Rwanda, avec des représentants gouvernementaux africains et belges, Bruxelles, décembre 1961.

Un racisme institutionnalisé

En octobre 1959, Kaybanda crée le Parmehutu. Dès lors, les partis Tutsis embrayent également le pas sur la race, devenue le véritable point de polarisation politique. À force de meeting et de harangues durant l’été 1959, la situation explose le 1er novembre lors de ce qu’on appellera « la Toussaint rwandaise ». Une déferlante de haine et de violences s’abat sur les Tutsis. En une semaine, l’onde partie de Ndiza (pays de Kaybanda et du Parmehutu) s’étend sur tout le Rwanda. Elle laisse derrière elle destructions, incendies, pillages et familles terrorisées. Ce sera la première vague de massacres des tutsis, durant lesquels des centaines de milliers de tutsis s’exileront notamment au Burundi et en Ouganda. En juillet 1960, des élections communales sont organisées et soutenues par le pouvoir belge, en la personne du colonel Logiest, catholique et pro-Hutu. Logiest a d’abord pris soin de placer des hommes du Parmehutu aux postes administratifs à la place des fonctionnaires tutsis. Cela leur laisse une grande latitude pour préparer les élections. Celles-ci débouchent sans surprise sur la victoire du Parmehutu. Au même moment, Logiest appuie l’expulsion et la déportation de milliers de Tutsis vers la province du Bugesera, région marécageuse et inhospitalière. Cette opération vise officiellement à les soustraire aux violences de la population Hutu.

Juillet 1960, le Parmehutu est en route vers le pouvoir. (Capture d’écran).

Le racisme peut s’institutionnaliser et  s’installer au cœur de l’État au fil de l’accession des Hutus, via le Parmehutu puis le MDNR de Harabyarimana. 30 ans pour que l’idée de se débarrasser du joug Tutsi prenne la forme d’un génocide.

Renommer, exclure, déporter.

Une succession d’étapes, parfois concomitantes, précède en effet l’explosion génocidaire.

  • Dès 1959 et jusqu’en 1994, les tutsis vont d’abord être désignés par des termes qui les déshumanisent: ils sont des Inyenzi, des cafards qu’il faut « écraser »; il faut « défricher »comme on le fait avec « mauvaises herbes ». Jusqu’aux termes de « travail » et de « défrichage » utilisés par les génocidaires pour désigner leurs massacres quotidiens.
  • Ensuite il faut les expulser et les déporter pour les regrouper (dans le Bugesera en l’occurrence).
  • Il seront également exclus de la société et de l’administration par la mise en place de quotas et de numerus clausus à l’entrée des études supérieures. Ils seront victimes d’une ségrégation qui leur interdit le moindre commerce et la moindre relation avec des hutus.

Cela n’est pas sans rappeler l’époque pré-génocidaire des juifs dans l’Allemagne nazie, sans préjuger des particularités de chacun de ces deux génocides.

La volte-face de l’Église

L’ascension au pouvoir des partis hutus bénéficie largement dès 1957  du soutien de l’Église. Celle-ci, à la faveur des revendications Hutus, a pu se souvenir de sa mission première qui était d’œuvrer pour la justice sociale… Elle a pu également voir le vent tourner et vouloir rester du côté du pouvoir de demain. Mais, cette période de guerre froide, elle a pu également imaginer avec frayeur le communisme aux portes du Rwanda.

L’Église a peur…

Pourquoi ? Comment ? Il faut suivre, c’est un peu fantaisiste… Au lendemain de 1959 se créé l’UNAR (Union Nationale Rwandaise). Le parti est conservateur, pro-monarchiste qui prône l’éviction des pères blancs de l’éducation. Il n’en faut pas plus pour que l’Église voit le spectre du grand Satan communiste s’abattre sur son pouvoir. Elle s’en remet à Mr Perraudin, alors archevêque du Rwanda. Une lettre du Père Massion le hisse en héros de la cause anti-communiste :

« Il poussa plus avant la mise en garde contre l’Unar (Union nationale ruandaise), parti politique groupant surtout les autorités coutumières tutsi, qu’il avait déjà signée avec Mgr Bigirumwami, avant les événements de novembre. Il interdit formellement aux prêtres, religieux et religieuses, de favoriser ce parti, de quelque manière que ce soit, pour les motifs suivants :

1) Le caractère laïciste de son programme ;

2) Les attaques de ses chefs contre l’Église ;

3) Ses accointances avec le communisme, manifestées dans les indices ci-après :

a) soutien du parti, à sa fondation, par des Européens procommunistes ;

b) article signé dans le quotidien communiste belge Le Drapeau rouge, par un de ces Européens, Lambert, afin de défendre l’Unar ;

c) saisie de tracts communistes en Uganda sur le secrétaire général de l’Unar, Rwagasana ;

d) demande de visa pour Moscou par les leaders de l’Unar réfugiés à Dar es Salam. » André Massion. Note sur la situation de l’Église au Ruanda, mai 1960.

Par opportunisme, l’Église ne fera jamais rien pour arrêter le train de la haine.

De la guerre au génocide

La guerre contre le FPR

On ne peut pas comprendre complètement comment le génocide est devenu « nécessaire » aux yeux du pouvoir sans évoquer le contexte de la guerre menée contre le FPR. Il a été fondé au Burundi, entre autres par Paul Kagame, futur président du Rwanda. Il est majoritairement composé de la diaspora tutsie exilée suite aux massacres de 1959, 1963 et 1973.

Paul Kagame devant ses troupes.

En octobre 1990, le FPR lance une offensive depuis l’Ouganda. Les intentions du FPR sont doubles : permettre aux nombreux tutsis exilés depuis 1959 de revenir au Rwanda, prendre le pouvoir pour instaurer un gouvernement démocratique. Les offensives et les affrontements avec les FAR, l’armée rwandaise, se poursuivent encore en 1992

Entre temps, en juin 1991, Habyarimana a été obligé de concéder le multipartisme, autrement dit la formation d’autres partis que le sien. C’est ainsi que se crée, entre autres et en 1992, le CDR, Coalition pour la défense de la République, encore plus radical que le MRND. Le CDR appartient à la mouvance Hutu Power. Sa milice, équivalent des Interhamwe du MRND, se nomme l’Impuzamugambi. Interhamwe et Impuzamugambi s’allieront pour perpétrer le génocide.

Emblème de l’Impuzamugambi
Emblème de l’Interahamwe

Tandis que les offensives du FPR se multiplient et qu’il s’ancre au Rwanda. Le CDR juge Habyarimana trop mou et, soutenu par l’état-major des FAR, ethnicise le conflit.

La « cinquième colonne »…

Extrait du rapport « Définition et Identification de l’ENI [Ennemi] », attaché à la Lettre de Déogratias Nsabimana, Colonel BEM, Chef EM AR [chef de l’état-major de l’armée], Lettre, à Liste A, 21 septembre 1992.
Le 21 septembre, le chef de l’État-major des armée fait diffuser une note à ses troupes. Cette note définit précisément « l’ennemi ». Cet ennemi ce sont, entre autres, les Tutsis de l’intérieur, forcément des « infiltrés » du FPR, une sorte de « cinquième colonne ». Ce sont également les Hutus en désaccord avec le régime. Bref, le Rwanda et tous les Hutus sont menacés par un complot Tutsi raciste dont la tête de pont serait le FPR.

Le FPR est ainsi accusé de vouloir « restaurer la dictature des extrémistes de la minorité tutsi » au moyen d’un « génocide, [d’une] extermination de la majorité hutu ». Extrait d’un pamphlet de Léon Mugasera, idéologue du Hutu Power, février 1991.

Dès le lendemain, le CDR reprend la note de l’État-major dans un tract largement diffusé.

Il faut donc que les Hutus organisent une « auto-défense » contre la menace de ce génocide en marche. L’heure est à l’entraînement et l’armement intensif des milices Impuzamugambi et Interahamwe et des FAR. Pour les secondes on achète un armement conventionnel à la France l’étranger, pour les autres sont commandées des centaines de milliers de machettes.

Le fantasme du complot génocidaire.

Les médias de la haine

RTLM, « Surveillez vos voisins »

L’ennemi est partout pour les Hutus. Cette vision sera largement attisée, dès sa création en 1993, par la funeste Radio-Télévision des Milles Collines. Dès l’automne de cette même année, de longues listes de Tutsi sont livrées en direct à la vindicte populaire. Et RTLM est le média de millions de rwandais. Tutsis et hutus l’écoutent en permanence car la radio est même le seul média capable d’atteindre tous les rwandais. Habyarimana est actionnaire de RTLM et Félicien Kabuga en est le fondateur. (Ce dernier est actuellement jugé à La Haye, accusé  » de génocide, d’incitation directe et publique à commettre le génocide, d’entente en vue de commettre le génocide, et de persécutions pour des raisons politiques, d’extermination et d’assassinat, constitutifs de crimes contre l’humanité « .) Voici un extrait édifiant d’une émission de RTLM :

Avant et pendant le génocide, la population des différentes régions reçoivent en nombre des postes radio, meilleur moyen de se donner du cœur à l’ouvrage et de l’ardeur à la tâche.

Kangura

Ce titre, qui signifie « Réveille ! « , est adressé aux hutus. Il est celui d’une revue fondée en 1990. Tout au long de de son existence, son but est de faire vivre la population Hutu dans un monde parallèle (on dirait aujourd’hui que c’est une entreprise de désinformation systématique).

Dans ce monde, le Tutsi en guerre menace les Hutus et doit être étroitement surveillé. Même la réalité est une illusion car les Tutsis contrôlent déjà de nouveau la société. Il faut les débusquer jusque derrière des papiers falsifiés par lesquels ils se font passer pour Hutus. C’est un peu le « ils sont partout » déjà de sinistre mémoire.

En 1990, soit 2 mois après le début de la guerre, le numéro 6 de Kangura publie « Les 10 commandements du hutu », texte d’un racisme incroyable qui parachève la ségrégation.

Sans commentaire

Le tout s’agrémente de caricatures tout aussi… immondes contre les femmes tutsis, désignées comme les pires des infiltrées. Elles chercheraient à mettre les Hutus dans leur lit afin de leur transmettre le gène Tutsi et donc détruire la « race » Hutu. Caricatures méprisantes contre Habyarimana aussi. Après les accords d’Arusha, il est accusé d’avoir, par mollesse (ou trahison ?), vendu le Rwanda au FPR.

Paul Kagame sur les épaules de Juvénal Habyarimana. Kagame (en swahli) : « Avance jusqu’à Kigali. » Habyarimana (en kinyarwanda) : « J’ai fait tout mon possible pour que vous les tutsi, vous vous sentiez bien« . Kagame (en kinyarwanda) : « Qui t’avait donné cette mission ? » (Kangura n° 53,  décembre 1993)

Ce même numéro annonce sur la même page que la caricature, ci-dessus, juste en face :

« Rien n’arrive que nous ne l’ayons prédit. Le président Habyarimana pourrait mourir avant le mois de mars 1994[Nous soulignons]. Ces trois derniers mois, nous avons révélé les nombreux desseins cachés dans les têtes des gens, aussi bien ceux qui sont couchés sur papier que ceux qui ont été planifiés mais ont avorté avant leur concrétisation. La plupart de ces projets ont été signalés par Kangura, mais comme il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, ce que nous disions ou publiions dans nos écrits n’a reçu pour toute réponse que le mépris.

Le 3 avril sur RTLM :

« Ils ont même les dates, nous connaissons leurs dates. Nous connaissons les dates, qu’ils fassent attention! J’ai des complices au FPR. Oh ho! Il y a des complices, il y a des complices qui nous informent de leurs nouvelles. Ils nous ont dit que le 3, le 4 et le 5 il devra y avoir quelque chose [quelque chose se prépare] dans cette ville de Kigali à partir d’aujourd’hui à Pâques. Demain et après-demain quelque chose est prévu dans cette ville de Kigali. Même le 7 et le 8. Donc vous pourriez entendre le bruit des balles ou le bruit des grenades, mais j’espère que les forces arm6es Rwandais sont vigilants. »

À bon entendeur, salut…

Être hutu en 1994

Il faut donc s’imaginer le vécu intérieur d’un hutu du peuple ou des villages en 1994. C’est être hanté par le retour à la domination coloniale par un peuple étranger et arrogant qui a humilié ses ancêtres en les maintenant dans un état de servitude. C’est perdre les parcelles où il cultive ce qui le fait vivre. C’est sentir que cette échéance est proche, voire est déjà là. Déjà là parce que le FPR arrive et qu’il dispose d’émissaires fondus et cachés en tout tutsi, en plus pernicieusement, en toute femme tutsi et jusqu’à ses enfants. Ces émissaires ont ourdi un complot visant à l’extermination des hutus et prêt à se déclencher du jour au lendemain. Dès lors et par conséquent tout tutsi, y compris ses avoisinants et avoisinantes sont une menace pour sa survie. Le hutu est terrorisé parce que ses futurs tueurs sont dans son village, parmi ses proches.

« La petite maison » ou le cercle restreint de l’horreur

Habyarimana ne peut, au moins ignorer les torrents de haine déversés par la RTLM, sinon les téléguider. Il ne peut ignorer non plus qu’il est dépassé par sa droite avec le Hutu Power et Kangura. Habyarimana et son entourage proche, l’Akazu, le petit cercle d’Agathe Kanziga, épouse du président. L’Akazu compte parmi ses rangs le sinistre Théodeste Bagosora, alors directeur de cabinet du ministère de la Défense et, accessoirement idéologue du Hutu Power, les militants les plus radicaux de la lutte contre « l’ennemi héréditaire ».

Dîner en famille à l’Akazu

Dès le 7 avril, le Hutu Power en embuscade.

Tout est prêt. L’attentat contre Juvénal Habyarimana est l’étincelle qui enflamme l’allumette. La mèche est la longue chaine de l’administration,  l’armée et les milices, de leurs chefs jusqu’aux petits représentants des villages. Quand l’allumette touche la mèche, l’explosion arrive très vite. RTML sera le souffle qui entretiendra l’incendie durant 3 mois dans l’oreille des petites mains. Le 7 avril au soir, un gouvernement de transition est constitué. Il réunit a priori des représentants de tous les partis d’opposition et du MNRD. Mais tous ces représentants sont choisis dans l’aile la plus radicale et sympathisante du Hutu Power de chacun des partis, tous favorable à « la solution finale ». A Kigali, le génocide a déjà commencé par un massacre visant les ministres et politiques modérés ou même toute personne un peu trop habillée pour n’être pas de la nomenclature. Puis le vent souffle et l’incendie gagne sa cible : les tutsis du Rwanda.

Un décompte difficile

A la mi-juillet 1994, environ 800 000 Tustis (500 000 estimation basse/ 1 millions estimation haute) auront été exterminés.

Victimes du génocide, Mémorial de Gisozo, Kigali. ©Radu Sigheti/Reuters

Aujourd’hui on estime à 300 000 le nombres de survivants, soit 3% de la population Tusti recensée avant 1994.

Près de 2 millions de Hutus se jettent sur les routes, fuyant les représailles du FPR.

Les hutus fuyant l’avancée du FPR. ©Benoît Gysembergh

Dans leur débâcle, les dignitaires génocidaires et le gradés de la FAR se cachent se fondent dans la population Hutu, dont les petites mains du génocide et leur famille. Environ 30 000 Hutus meurent du choléra dans les camps du Zaïre. Beaucoup d’autres pensent que ce revers n’est que passager, que leur guerre reprendra. Ils poursuivent leur « travail » dans les camps. Le décompte des Hutus tués par le FPR en guise de représailles est extrêmement difficile à estimer. Les historiens parlent d’une fourchette allant de 6000 à 60 000.

Réconciliation … et pardon ?

A partir de juillet 1996, les Hutus commencent à rentrer au Rwanda (60 000 dès juillet). En 2003, le gouvernement lance une première vague de libération des prisonniers hutus, pour la plupart de grands tueurs jugés pour leur participation au génocide. Dans le cadre de la politique de réconciliation, ils continuent de comparaître devant les gaçaça, tribunaux locaux traditionnels. Aujourd’hui, la plupart des Hutus sont revenus sur leurs parcelles, sur leur colline, sur les lieux où ils avaient massacré avoisinants et familles. Les Tutsis exilés depuis les vagues de massacres (le premier en 1959) sont également revenus. Génocidaires et survivants doivent cohabiter dans le cadre de la vigoureuse politique de réconciliation mise en place par l’État.

« … dans nos causeries intimes, le mot “pardon” est étranger, je veux dire, contraignant. Par exemple, tu vois revenir Adalbert,  il a commandé les tueries sur Kibungo, il a été gracié, il parade à Kigali, il retrouve sa machette sur sa parcelle. Toi, tu es de Kibungo, à cinq cents mètres de chez lui, tu as perdu le papa, la maman, deux sœurs, l’épouse et le garçonnet. Tu croises Adalbert au centre, lui à toi, toi à lui : qui va prononcer le mot pardon ? C’est surnaturel. Au fond, le temps nous oblige à tout avaler. »
Innocent Rwililiza, paroles recueillies par Jean Hatzfeld, La stratégie des Antilopes, 2007.

 

Conclusion

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de l’ONU définit ainsi le génocide :

« le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

  1. Meurtre de membres du groupe ;
  2. Atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
  3. Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
  4. Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
  5. Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Les massacres perpétrés entre le 7 avril et la mi-juillet 1994 seront interprétés comme un génocide par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé ad hoc en 1995  afin  d’en juger les responsables. Il est ainsi le premier tribunal à interpréter la définition rédigée ci-dessus et adoptée le 9 décembre 1948 par l’ONU. Le TPIR est le premier tribunal à statuer et juger pour « génocide » tout simplement parce que le procès de Nuremberg, on l’oublie parfois, n’a prononcé que des jugements pour « crimes contre l’humanité ».

Au Rwanda il y a bien eu au moins des « meurtre de membres du groupe » Tutsi, ainsi que des « atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ». Quant à l’intention, l’article qui précède vise précisément à montrer qu’elle était bien présente.

On rappellera 3 étapes de la chronologie, communes nous semble-t-il, aux génocides (sans oublier leurs spécificités respectives, évidemment) :

1957 : avec le Manifeste des Bahutus, les tutsis sont désignés comme groupe malfaisant, sont déshumanisés (les Inyenzi ou cafards), enfin ils font l’objet de brimades et de ségrégation.

1959 : Les premiers massacres organisés de Tutsis, en raison de leur appartenance à ce « groupe », sont perpétrés.

A partir de 1990, l’intention génocidaire se précise. Un des pamphlets de Léon Mugasera évoque les « génocide » que les tutsis s’apprêtent à mettre en œuvre contre les hutus ; c’est la bonne vieille méthode projective – toujours actuelle – qui consiste à accuser l’autre de notre propre intention. A partir de là, et dans le cercle de « La Petite maison », le génocide se prépare méthodiquement.

Nous sommes bien dans ce que la définition de l’ONU entend par « intention » :

L’intention est l’élément le plus difficile à établir. Pour qu’il y ait génocide, il faut démontrer que les auteurs des actes en question ont eu l’intention de détruire physiquement un groupe national, ethnique, racial ou religieux. La destruction culturelle ne suffit pas, pas plus que la simple intention de disperser un groupe. C’est cette intention spéciale, ou dolus specialis, qui rend le crime de génocide si particulier. En outre, la jurisprudence associe cette intention à l’existence d’un plan ou d’une politique voulue par un État ou une organisation, même si la définition du génocide en droit international n’inclut pas cet élément.

Il est important de noter que les victimes de génocide sont délibérément visées – et non pas prises au hasard – en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à l’un des quatre groupes de population protégés par la Convention (ce qui exclut les groupes politiques, par exemple). La cible de la destruction doit donc être le groupe, en tant que tel, et non ses membres en tant qu’individus. Le génocide peut également être commis contre une partie seulement du groupe, pour autant qu’elle soit identifiable (y compris à l’intérieur d’une zone géographiquement limitée) et « significative ».

L’intention est difficile à établir, en effet. Elle le fut alors qu’ont commencèrent les procès du TPIR, qui visaient justement à la mettre en lumière. Mais l’intention ne fait aujourd’hui plus l’ombre d’un doute, d’autant que tout le monde peut avoir accès aux documents et ouvrages que nous avons nous-mêmes consultés pour cet article, tous en open source.

Aujourd’hui la justice, puis les historiens, et plus récemment la déclassification de la plupart des archives Mitterrand, ont fait la lumière sur la préparation et la mise en œuvre du génocide rwandais. Et pourtant, pourtant… les voix négationnistes qui se sont élevés pendant les massacres, juste après, et encore maintenant, font toujours flores, notamment avec la thèse du « double génocide » (génocide des tutsis par les hutus et génocide des hutus par les tutsis »)… A bas bruit et loin des grands médias, elles murmurent toujours très régulièrement sur des sites, dans des ouvrages et même sur certaines radios française bien connues pour leur complaisance (au moins) envers le complotisme. Faut-il qu’un génocide porte en lui les germes de sa négation ? Se peut-il que l’innommable et impensable violence exercée durant un génocide ne puisse jamais être reconnue et acceptée par certains et certaines, notamment ses responsables et acteurs et actrices, dans un déni qui les protège de leur inhumanité ? Se peut-il aussi que le négationnisme, en deçà même du politique et de l’idéologie, soit le revers du traumatisme infligé ou permis, ou encore du génocide que l’on a ni pu, ni su, ni voulu voir et faire cesser ?

 

Pour compléter :

En ces jours de commémoration des 30 ans de la mise en œuvre du génocide des Tutsi, paraissent et sont diffusés articles et documentaires.

Parmi eux, sur France Télévisions,

Rwanda, désobéir ou laisser mourir , 51 mn : Le génocide commence dans la nuit du 6 avril. Les casques bleus de la MINUAR sont présents depuis quelques semaines en tant que « soldats de la paix ». Les français de l’opération Amaryllis arrivent le 9 avec pour mission la sécurisation des évacuations de ressortissants étrangers par les forces belges. Les commandements de l’ONU et de l’armée française n’écoutent pas les remontée terrifiantes du terrain des opérations, refusent l’extension des missions et demandent à la MINUAR de quitter Kigali. Les soldats doivent laisser derrière eux des milliers de réfugiés qui auraient pu être sauvés. Quant aux français, ils accueillent les membres du nouveau gouvernement de transition extrémiste hutu et le cercle de l’Akazu à l’Ambassade de France, avant de les évacuer vers la France. Au 14 avril, toutes les forces françaises ont également quitté Kigali. Il ne reste plus que les bourreaux et les victimes. 30 après, une survivante tutsi et des gradés belges témoignent de cette tragédie.

Rwanda, vers l’apocalypse, 70 mn : retour très documenté sur la généalogie du génocide, depuis l’arrivée des colons belges jusqu’à sa mise en œuvre.

Sur Arte,

Les documentaires et reportages du dossier « Le Rwanda, 30 ans après » avec, notamment, le documentaire Une et Mille collines : à travers les minutes du procès au tribunal populaire (gacaca) de leurs génocidaires en 2015, le film retrace le parcours de 3 enfants tués par les habitants de leur propre village.

 

 

 

 

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