21 décembre 2023 | Temps de lecture : 4 minutes

De l’impératif de la double besogne

Et maintenant, pensons demain !

Il est des textes qui s’écrivent tout seuls et d’autres difficiles à faire naître.

Le 19 décembre 2023, le Sénat et l’Assemblée Nationale ont adopté un texte de loi dont la teneur fait frémir. Cette loi instaure :

  • Réforme de l’AME examinée en 2024
  • Nouvelles restrictions au regroupement familial
  • Remise en cause du « droit du sol »
  • Instauration d’une condition de « respect des principes de la République » pour obtenir un titre de séjour
  • Allongement de la durée nécessaire de séjour régulier pour être éligible à certaines aides sociales
  • Durcissement des conditions d’accès à la nationalité
  • Exclusion des personnes visées par une OQTF du droit à l’hébergement d’urgence
  • Réinstauration du délit de séjour irrégulier
  • Mesures favorisant les expulsions d’étrangers délinquants
  • Déchéance de nationalité pour les binationaux coupables d’homicide volontaire sur une personne dépositaire de l’autorité publique – Dépôt d’une caution pour les étrangers demandant un titre de séjour étudiant
  • Possibilité de relever les empreintes digitales des étrangers en situation irrégulière sans leur consentement
  • Possibilité d’expulsion pour simple menace à l’ordre public
  • Suppression de la quasi-totalité des protections pour toutes les personnes ayant des attaches particulières avec la France, notamment familiales

Nous pourrions admettre que ça nous pendait au nez, mais ça serait admettre que nous serions un peu fautif dans cette histoire. En réalité la majorité présidentielle s’est piégée toute seule, naïve et incompétente, incapable de voir que l’extrême droite n’est pas une opposition loyale. Elle s’est fait avoir par la droite qui lorgnait vers l’extrême droite. Et quand le loup a jugé que la proie était à sa portée, il a refermé les crocs. C’était trop tard.

Les médias d’info continue hurlent à la faute de la FI, comme si la gauche avait une responsabilité dans cet échange. Il n’en est rien, pas une seule seconde, ce sont les droites qui sont à l’œuvre dans cette histoire. Le résultat sera décevant pour eux. Pour les étrangers concernés, c’est une catastrophe. Mais qui s’en soucie…

Désormais nous devons acter une victoire idéologique de l’extrême droite. Marine Le Pen n’a eu qu’un mot à dire, et cette victoire devint sa victoire. Ça donne tout son sens au parcours d’un ministre qui a fricoté avec l’Action Française et l’aile droite des Sarko Boys (avec Christian Vanneste). Darmanin s’est fait voler sa victoire, son discours incohérent devant le Sénat montre juste un roublard qui s’est fait doubler.

illustration double besogne

Et maintenant

Et maintenant, on fait quoi ? Pour beaucoup d’entre nous, ça ne change rien. C’est une dynamique qu’il est difficile d’abattre, un train en marche, celui des idées réactionnaires. Ce programme a été pensé de longue date. « Pas une victoire demain, mais dans trente ans » professait Alain de Benoist. C’est bien une victoire de la Nouvelle Droite dont il s’agit ici. Sa victoire réside dans le fait d’avoir remporté une bataille importante, dans cette guerre de position.

Cette victoire, c’est celle d’avoir pensé l’avenir il y a plusieurs décennies et d’avoir pris le temps de s’organiser. Le gramscisme culturel, c’est un arsenal infernal de groupes de pressions, de revues, de think tank… Le résultat, c’est le glissement de la fenêtre d’Overton vers des discours droitiers et conservateurs agressifs considérés comme plus acceptables, alors que ceux de notre camp, l’émancipation et la justice sociale sont devenus des gros mots.

Alors que faire ?

Il faut nous aussi penser à long terme. Nous sommes héritiers de la charte d’Amiens qui instaure un grand principe, celui de la double besogne. Agir pour aujourd’hui et pour demain. Cette démarche consiste à travailler à préparer une transformation de la société alors même que les lendemains qui chantent semblent loin, tout en agissant au quotidien pour défendre nos droits.

En quoi ça consiste ?

Il faut créer les conditions d’un imaginaire. Pour penser demain, il faut pouvoir le faire, il faut avoir des outils intellectuels qui nous permettent de penser l’avenir. Ces outils là n’existent plus. Nous sommes empêtrés dans un présent terne, et les perspectives d’avenir sont ternes. Nous aimons nous le rappeler constamment en ironisant « on va tous mourir, tout est foutu ». Le seul mort est l’imaginaire qui nous permet de penser notre propre émancipation.

Il faut élaborer la diffusion de cet imaginaire. Si cette notion d’imaginaire semble abstraite ou trop évidente, elle ne l’est pas. Depuis trop longtemps, les conditions matérielles de vie de beaucoup d’entre nous n’ont pas permis d’accéder à ce capital culturel nécessaire à imaginer les lendemains qui chantent. Dans ce cas, il suffit d’un démagogue pour exploiter les frustrations. On connait le résultat.

Il faut s’organiser. La montée de l’extrême droite est liée à une montée de la violence. Quand ses discours deviennent audibles, la violence devient acceptable. Ces gens ne se vengent pas du capitalisme sur des abris bus, ils organisent des descentes en nombre pour se faire justice eux-même. Le danger est réel.

Enfin, il ne faut pas renoncer. Parce que l’abandon, c’est un luxe que beaucoup de camarades racisé.e.s, les femmes, les LGBT, n’ont pas et face au rouleau compresseur de l’extrême droite, ils seront toujours l’objet de toutes les haines.

La riposte se construira sur le long terme et sera faite de nombreuses nouvelles défaites. Mais il est important de voir, non pas la prochaine élection, déjà perdue, mais des échéances plus longues. Entre temps, il est indispensable de penser une défense antifasciste qui reconstitue un véritable cordon sanitaire.

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