23 juin 2019 | Temps de lecture : 10 minutes

Cannabis et Rassemblement National, l’écran de fumée

A propos du Cannabis, Nicolas Bay fume la moquette !!!

Qu’est ce que peut bien préparer le Rassemblement National avec le cannabis ? Rouler un joint, pas sûr. Pourtant des fois, on se demande…

En ces temps de discussions tous azimut sur la légalisation du cannabis en France (thérapeutique et récréatif), il était bien évident que le FN/ RN rappelle ses fondamentaux. Fondamentaux résumés dans un twitt de Nicolas Bay:

N Bay et le Cannabis
N Bay et le Cannabis

Il ne fait que rappeler la position dure du FN/RN sur le sujet:

Position FN sur le cannabis
Position FN sur le cannabis

Rien de nouveau sous le soleil donc. Mais Nicolas Bay ajoute ici dans son twitt quelques éléments de communication assez cocasses. Il faut dire que peu de nos concitoyens, et encore moins les électeurs du FN/RN irons vérifier la véracité de ses affirmations. Bay se fait donc à peu de frais une tentative de mini buzz qui est devenu la marque de fabrique de beaucoup de partis politiques, mais qui est la norme à l’extrême droite.
Et se faisant, bien entendu, il ment. Énormément.

1) Les dépendances, les addictions

En 1975, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la dépendance comme :

« un état psychique et parfois physique, résultant de l’interaction entre un organisme vivant et un produit, caractérisé par des réponses comportementales ou autres qui comportent toujours une compulsion à prendre le produit de façon régulière ou périodique pour ressentir ses effets psychiques et parfois éviter l’inconfort de son absence (sevrage). La tolérance peut être présente ou non. »

En août 2011, l’American Society of Addiction Medicine (ASAM) propose une nouvelle définition de l’addiction. La dépendance est une maladie chronique du cerveau, un syndrome qui va au-delà d’un problème comportemental lié à l’excès de drogues, d’alcool, de jeux, de sexe ou de nourriture, etc

En 2016, le DSM propose une définition basée sur des critères:

Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) utilise l’expression de troubles de l’usage d’une substance pour décrire la prise compulsive de drogues, d’une forme légère à une forme grave à rechutes chroniques. Elle se manifeste par l’apparition d’au moins deux des manifestations suivantes, au cours d’une période de 12 mois :

  1. Une consommation plus importante en quantité, ou durant une période plus longue que prévu ;
  2. Un désir persistant, ou des efforts infructueux pour réduire cette consommation ;
  3. Beaucoup de temps est consacré à l’obtention, l’utilisation, et la récupération des effets de la substance ;
  4. Un besoin impérieux de consommation (craving) ;
  5. Consommation répétée avec incapacité de remplir ses obligations socio-professionnelles ;
  6. Consommation continue malgré des problèmes causés ;
  7. Abandon ou réduction des activités socio-professionnelles et de loisir ;
  8. Consommation répétée dans des situations où cela peut être physiquement dangereux ;
  9. Consommation poursuivie en toute connaissance de cause de problèmes persistants ou récurrents ;
  10. La tolérance est définie par un besoin de quantité plus forte pour obtenir l’effet désiré, ou par la diminution de l’effet par usage d’une même quantité ;
  11. Le sevrage se manifeste par un syndrome de sevrage caractéristique de la substance, ou par la prise de la substance pour éviter ou soulager les symptômes de sevrage.

La sévérité des troubles est spécifiée en forme légère (2 à 3 manifestations), moyenne (4 à 5), grave (plus de 6). La rémission précoce est définie comme l’absence de manifestation pendant au moins 3 mois, et la rémission prolongée pendant au moins 12 mois, à l’exception du critère 4 craving dans les deux cas.

Les troubles de l’usage d’une substance sont classés par substances. En sus, le DSM-5 distingue des troubles non liés à des substances : le jeu d’argent pathologique avec des critères spécifiques.

Mais comme on le voit à l’examen de ses définitions, le problème n’est pas le produit lui-même.

2) Position de l’extrême droite sur les toxicomanies

C’est pourquoi on peut s’interroger sur le manifeste acharnement du FN/RN sur le cannabis à l’exclusion des autres produits. Car sur deux autres produits addictifs bien présent dans notre société le RN se montre singulièrement coulant.
Sur le tabac:

Position FN tabac et sodas
Position FN tabac et sodas

On notera le mépris de classe qui transpire de cette position…Les classes populaires ont le droit de s’intoxiquer au tabac et de bouffer sucré et gras, cela relève de la liberté…

Ou pire sur l’alcool où la position va de la compréhension bienveillante:

Position FN alcool
Position FN alcool

à carrément une protection pour le lobby des alcooliers:

Position FN alcool la tolérance
Position FN alcool la tolérance

Mais nous direz vous, cette position peut peut être venir de données objectives sur les substances elle même ou le poids social/de santé dans leur consommation. Pas vraiment non plus.

3) Consommation et conséquences

a) L’addiction engendrée par les produits

Comme l’explique l’INSERM, la dépendance qu’engendre la consommation de tel ou tel produit est variable. Mais pas telle que le sous entend le RN/FN :

Addiction au produit
Addiction au produit

Certaines substances semblent avoir un pouvoir addictif supérieur à d’autres compte tenu de la proportion de personnes dépendantes parmi leurs consommateurs. Le produit le plus addictif serait le tabac (32% des consommateurs sont dépendants),  suivi par l’héroïne (23%), la cocaïne (17%) et l’alcool (15%). La vitesse d’installation de la dépendance varie également en fonction des substances. Les dépendances au tabac, à l’héroïne et à la cocaïne peuvent se développer en quelques semaines, alors que celle à l’alcool est beaucoup plus lente.

b) Les conséquences pour la santé publique

En France on estime à 5 millions le nombre de personnes qui connaissent des problèmes médicaux et des difficultés psychologiques ou sociales liés à une consommation d’alcool. Les pertes de revenus et de production liées à la maladie ou au décès prématuré imputables à l’alcool sont estimées à près de 10 milliards d’euros chaque année en France, un coût quatre fois supérieurs aux dépenses de santé.

En France, au total, directement et indirectement, l’alcool coûte la vie à 45 000 personnes, chaque année.

L’alcool est directement impliqué dans 23 000 décès par cancer des voies aérodigestives supérieures, par cirrhose ou par mort prématurée liée à l’alcoolodépendance.

L’alcool est également la cause d’un tiers des accidents mortels de la circulation, de 25-35 % des accidents de voiture non mortels, 64 % des incendies et des brûlures, 40 % des chutes, 48 % des hypothermies et des cas de gelure, 20 % des suicides, 20 % des délits, 50 % des homicides (victimes ou criminels), même à des concentrations inférieures aux taux légaux d’alcoolémie.

Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) [2] également, l’alcool serait à l’origine de 15 à 20 % des accidents professionnels, de l’absentéisme et des conflits au travail.

Afin de compléter le tableau, il faut savoir qu’un hospitalisé sur 5 aurait des difficultés avec les boissons alcoolisées, 7 % présentant des pathologies.

  • Consommation tabac en France:

Le tabagisme, qu’il soit actif ou passif, est un véritable problème de Santé publique : chaque année, il tue plus de 78000 personnes en France1, soit 1 décès sur 14, parmi lesquels 59 000 sont des hommes et 19000 des femmes.
Fedecardio

Même si ce chiffre est contestable méthodologiquement, le tabac est une véritable gabegie pour les finances de l’état:

47,7 milliards d’euros Le tabagisme et ses conséquences coûtent cher à la société, on le sait. La ministre de la santé, Marisol Touraine, l’avait rappelé à l’occasion du lancement du plan antitabac, avançant le chiffre de 47,7 milliards d’euros par an. Ce, alors que les rentrées fiscales ne représenteraient que 12 milliards d’euros par an, selon la Cour des comptes. Soit un manque à gagner pour l’Etat de 35,7 milliards d’euros.

On comparera ce coût estimé avec celui de l’AME (1 milliard d’euros) dont nous rabâche le FN/RN, alors que celui ci est une mesure de santé publique…

  • Consommation de cannabis en France:

Ne le nions pas la consommation a des impacts en terme de santé. Mais il est également clair que ces dangers passent largement au second plan quand on en étudie les conséquences réelles:

Les conséquences sur la morbidité et la mortalité

Des études montrent l’impact de la consommation de cannabis sur la santé dans plusieurs domaines : les accidents de la route, certains cancers, certaines pathologies de l’appareil circulatoire et respiratoire, et certaines pathologies mentales. Les effets peuvent être liés soit au principe actif du cannabis (Δ9-THC) soit aux substances résultant de sa combustion (goudrons). Les produits ajoutés au cannabis de manière intentionnelle (coupe) ou involontaire (contaminants) pourraient plus rarement intervenir dans l’apparition de pathologies.

– Les liens entre consommation de cannabis et accidents de la route ont été étudiés dans le cadre dans l’enquête SAM (Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière). Entre octobre 2001 et septembre 2003, tous les conducteurs impliqués dans un accident mortel de la route ont fait l’objet d’un dépistage en vue de savoir s’ils avaient consommé des stupéfiants. Au cours de la période d’enquête, 7 % de conducteurs impliqués dans un accident mortel se sont relevés positifs au cannabis (THC sanguin supérieur à 1ng/ml) parmi lesquels 2,8 % avaient également consommé de l’alcool. La prévalence du cannabis passe à 17 % chez les moins de 25 ans. La comparaison des conducteurs responsables à un groupe de conducteurs non responsables a permis de montrer que les conducteurs sous l’influence du cannabis ont 1,8 fois plus de risque d’être responsables d’un accident mortel que les conducteurs négatifs (IC 95 % = 1,4-2,3), le risque est multiplié par 14 en cas de consommation associée d’alcool (IC 95 % = 8,0-24,7) [16]. Ainsi, la consommation de cannabis peut être jugée responsable de 170 à 190 décès annuels par accidents de la route à la fin des années 2000 [17]. L’étude SAM a permis par ailleurs de proposer une estimation de la prévalence du cannabis parmi l’ensemble des conducteurs « circulants » de 2,8 % (chiffre équivalent à celui de l’alcoolémie supérieure ou égale au seuil légal de 0,5g/l) [16, 18].

– Sur le plan somatique, peu de pathologies ont été décrites comme étant en lien avec une consommation aigüe de cannabis. De rares risques d’infarctus du myocarde (où le cannabis interviendrait comme facteur déclenchant), de troubles du rythme voire d’accidents vasculaires cérébraux sont décrits. En 2016, le cannabis est impliqué, au moins en partie, dans 30 décès selon l’enquête DRAMES, soit 7 % des décès liés à l’usage abusif de substances psychoactives [19]. La prise en compte de ces décès liés au cannabis est récente et inégale selon les laboratoires participant à l’enquête, ce qui ne permet pas de dégager de tendances dans le temps. Les conséquences d’une consommation chronique de cannabis fumé, plus fréquentes, se rapprochent quant à elles des tableaux cliniques observés avec le tabac puisque sont retrouvés des risques de cancers (poumon et voies aérodigestives supérieures essentiellement ; vessie, prostate ou cancer du col utérin plus rarement) et de maladies respiratoires chroniques [20].

– Sur le plan psychologique, l’intoxication aiguë peut également donner lieu à des troubles anxieux, sous la forme d’attaques de paniques (bad trip) ou d’un syndrome de dépersonnalisation très angoissant. Rare, la psychose cannabique se manifeste par des bouffées délirantes ou des hallucinations visuelles avec agressivité, désorientation temporo-spatiale… Ces symptômes psychiatriques régressent le plus souvent avec l’arrêt des prises, mais sont parfois inauguraux de pathologies chroniques. La consommation régulière de cannabis peut constituer un facteur d’aggravation de toutes les maladies psychiatriques (augmentation du risque suicidaire, de désinsertion sociale, des troubles de l’humeur et anxieux). Une consommation chronique débutée au début de l’adolescence pourrait même entraîner un déclin cognitif irréversible. La consommation de cannabis serait un des nombreux facteurs (ni nécessaire, ni suffisant) qui favorisent la survenue d’une schizophrénie. Cependant, son rôle causal est encore l’objet de controverses. Le risque semble faible, mais augmenterait avec les quantités consommées et lorsque l’usage commence avant l’âge de 15 ans. Si plusieurs études ont montré une association statistique entre maladie psychotique et consommation déclarée de cannabis, la forte augmentation de l’usage de cannabis ne s’est pas accompagnée d’une augmentation de l’incidence des schizophrénies [21].

4) Le discours dogmatique de l’extrême droite sur les drogues

D’ailleurs les données sont très claires, au delà des représentations et surtout au delà des fantasmes et de la propagande de l’extrême droite, le coût social engendré par les consommation de produits, par type de produits ont des résultats sans appel…

Le coût social des addictions
Le coût social des addictions

 

Alors pourquoi une telle position dogmatique du RN? Difficile à comprendre en l’absence d’études précises. Ce que l’on sait c’est que l’extrême droite n’hésite pas à utiliser divers procédés rhétoriques ou linguistiques propices aux raccourcis simplistes ou manichéens, à l’amalgame ou à la confusion. Elle surfe sur la fibre émotionnelle des individus pour marquer l’opinion publique par l’intermédiaire de titres accrocheurs et de nouvelles sensationnalistes, faisant appel à un style linguistique métaphorique. Cette mosaïque de titres pris au hasard sur le site du FN/RN montre cette rhétorique de la peur et les liens qu’elle veut instiller dans l’esprit.

La rhétorique du FN sur les drogues
La rhétorique du FN sur les drogues

Points rhétoriques que l’ont peut lister :

  • Les drogues, c’est ce qui est actuellement désigné comme illégal, l’alcool et le tabac ne sont pas des drogues.
  • La consommation des drogues est un problème de criminalité. La consommation d’alcool et de tabac à peine un problème de santé publique.
  • SI il y a crime, ALORS il y a immigration. Donc drogue=immigration. Alors que la consommation d’alcool et de tabac relèvent de choix personnels, voire de « terroirs » et de tradition à conserver.
  • Les problèmes des coûts sociaux engendrés par la consommation d’alcool et de tabac sont écartés du discours.

Que peut on en conclure?

C’est fort simple:

le discours du Rassemblement National sur le cannabis, comme sur quasi tous les sujets est un discours dogmatique de propagande, qui n’a cure des réels problèmes de santé publique, ignore les données pourtant bien connues de santé publique sur le sujet. Il ne sert que le discours du FN/RN qui consiste à taper sur l’immigration, les « mondialistes », bref les boucs émissaires du FN/RN.

Enfin pour la bonne bouche reprenons une des affirmations de Nicolas Bay citée plus haut:

Le #cannabis c’est pas seulement quelques bobos qui fument un joint le samedi soir et votent #Macron le dimanche.

« Disruptif », « audacieux », « drôle », dirons les aficionados du FN/RN…. Sauf que c’est faux.
Comme le révèle une enquête, les consommateurs de cannabis ne sont pas rares au FN/RN…Loin de là, ils seraient même plus nombreux au parti d’extrême droite que dans les rangs de LREM

Et bien elle nous vient des sympathisants du FN (RN)… Figurez-vous qu’ils sont 39% à avoir déjà essayé le cannabis ! [Contre 22% chez les électeurs de LREM-NDLR] Plus que la moyenne nationale, bien plus que les plus conservateurs… les électeurs de LR… qui ne sont que 22% (22% quand même) à avoir fait tourner le «bédo», au moins une fois dans leur vie ! Et surtout les sympathisants frontistes sont d’accord avec la gauche et LREM pour considérer (à l’inverse de la droite) que le cannabis n’est pas plus nocif que l’alcool.

Presque le double.
On se gausse.
Alors un conseil à Nicolas Bay: qu’il arrête de fumer la moquette. 😉

Pour en savoir plus:

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