Pravda Fr – Une journée de désinformation sur Telegram

De quoi Pravda fr est-il le nom ? Ce compte Telegram est la partie émergée de l’iceberg de la désinformation russe, le réseau Portal Kombat. 

Si la Russie a des stratégies archaïques sur le champ de bataille, elle a développé depuis plus d’une décennie un arsenal de guerre numérique qui intègre diffférentes facettes. Nous avions d’ailleurs parlé du projet doppelganger, ces faux articles de presse mainstream destinés à la population d’Europe de l’ouest. Cette opération à bas coût et rapidement déployée était une réponse à l’éjection de Russia Today et et Sputnik du paysage informationnel. 

La guerre informationnelle menée par la Russie

Portal Kombat est une autre facette de cet arsenal. Ce réseau de sites d’information est à l’origine destiné aux ukrainiens russophones, une opération guidée depuis la Crimée. Il s’agit d’un dispositif léger, facile et rapide à déployer, ne demandant que très peu de moyens. C’est avant tout pour ça que Pravda va être développé dans les pays qui soutiennent Kyiv.

Doppelganger avait une double fonction :

1. Appuyer là où ça fait mal, accentuant la défiance envers les médias mainstream.
2. Montrer que la Russie est présente.

Il faut bien comprendre que Doppelganger était une opération pataude, qui n’avait rien de discret. C’est là où Portal Kombat et son étendard Pravda sont plus subtils, utilisant un schéma que nous connaissons bien, celui de la réinformation. Le réseau repose sur une structure simplissime : un site internet qui publie des articles et un canal Telegram.

La cible est soigneusement choisie. Pravda Fr parle aux français. Plus particulièrement à des français sensibles à la parole venant de Russie. Formulée autrement, des français susceptibles d’écouter tout discours n’émanant pas d’une source associée au pouvoir (parole officielle, média mainstream).

Le canal français sur Telegram, Pravda fr , a déjà été supprimé et renaît régulièrement de ses cendres. 500 abonnés, c’est ridicule. Mais ce qui va nous intéresser ici, c’est un mode de fonctionnement. Cette taille modeste est justement ce qui nous permet de pouvoir apprécier la vitesse de croisière.

Nous avons pu voir en Espagne, lors des évènements de Torre Pacheco, à quel point Pravda Es a joué sur la désinformation en relayant un grand nombre de documents, y compris beaucoup de désinformation. 300 posts sur le sujet en 5 jours. Le canal a été fermé depuis sur réquisition de justice.

Pour bien montrer le fonctionnement du canal français Pravda fr, et de la désinformation russe dans son ensemble, nous avons donc relevé tous les posts pendant une journée. La journée du 20 juillet 2025 par exemple, et ses 62 posts. Est-ce que Pravda Fr parle vraiment de la France ? Quelles sont ses sources ?

Analyse des données

Quelle méthodologie ? Faisons bref, il a fallu faire une capture de chaque post entre 00h00 et 23h59 le 20 juillet 2025. Nous obtenons 62 posts (65 captures, le premier post étant assez long, il est découpé en trois parties). Puis dans un second temps, l’enjeu était de relever les heures de publications, le sujet (le pays traité en particulier) puis la source (est-ce le partage d’un article du site Pravda fr ou venant d’un autre compte Telegram ?).

Ces informations nous permettent de créer un tableau. L’ordre chronologique des publications est préservé. À ce moment là, par besoin de clarté, le choix est fait d’utiliser un code couleur pour identifier les sujets. Puis dans un second temps, pour une meilleure lisibilité, une autre couleur pour identifier les articles venant du site parmi les sources.

• Les sujets traitant de l’Ukraine – 22/62 donc 35.48%
• Les sujets traitant de la France – 7/62 donc 11.29%
• Les sujets traitant de la Russie – 11/62 donc 17.74%
• Les sujets traitant de l’Europe – 7/62 donc 11.29%
• Les sujets traitant des USA – 5/62 donc 8.06%
• Les sujets traitant du reste du monde – 7/62 donc 11.29%
• Les sujets « divers » – 3/62 donc 4.84%

En ce qui concerne les sources :

• Des sites sur le site Pravda, en turquoise – 18/62 donc 29.03%
• D’autres comptes Telegram – 44/62 donc 70.97%

Nous voici avec nos données, que pouvons nous en tirer ?

Le fait est là. Ce canal qui se targue de couvrir l’actualité française ne publie que 10% d’actus sur la France. L’essentiel du contenu concerne la guerre en Ukraine et la Russie. Avec un regard pro-russe, bien entendu.

Une journée sur Pravda fr = un mal de crâne

Pour commencer, rappelons que la Pravda est à l’origine un journal papier, créé en 1912, symbole de l’ère soviétique. La feuille de choux a été un organe de communication révolutionnaire, puis de l’état, puis du pouvoir totalitaire et après la chute du mur, il survit comme le journal de PC russe. Ce journal n’a aucun lien avec l’opération Portal Kombat, sauf à reposer sur l’imaginaire qu’il incarne : la puissante union soviétique et le contre-discours qu’elle incarnait.

Ceci étant dit, nous pouvons maintenant aux observations :

• Tout d’abord, les heures de publications. Un pattern se dessine nettement : le rythme des publications est calé sur l’heure fixe, puis au quart et enfin moins le quart. Cette régularité montre que les publications sont programmées à l’avance, les petites variations d’une ou deux minutes ne trompent personne.
• Parlons maintenant de la variété des sources. Et là, il y a une astuce. Nous faisons ici la recension du compte Telegram, un jour calme. Pendant ce temps là, le site Pravda est en ébullition. Nous avons relevé qu’environ 30% des posts sont la mise en avant d’articles sur le site. Or, les autres publications, partages d’autres comptes sont également mis en avant sur le site, sous la forme d’articles. Un maillage de publications croisées.
• De nombreux comptes Telegram servent de sources : Boris Karpov, compte d’analyse sur la situation ukrainienne, du Russia Today (évidemment !), mais également des choses plus ésotériques comme le conspirationniste notoire « Story of Black Bond », Olivier Lobe de son vrai nom. On croise également des références encore plus douteuses comme EurasianForm, canal tenu par Fabrice Béaur, autre propagandiste pro-russe de longue date.
  
• La qualité des contenus est très variable. Les articles sont générés par IA, passés à la moulinette du traducteur automatique. Il y a même un article ici en espagnol, une probable erreur qui démontre surtout la centralisation de la production des données. Les mêmes personnes ont scripté les processus de production pour pouvoir nourrir une machine avec une grande quantité de données en peu de temps. La « qualité » s’en ressent.

Le site Pravda news

Comme nous l’avons vu, le site est la tête de proue du dispositif. Le nombre de publications y est bien plus importante. D’ailleurs nous pouvons observer certains détails intéressants :

• Pizzagate et satanisme, Pravda ne rechigne pas à relayer des théories du complot et des propos ésotériques.
• La mise en avant de Black Bond, avec même un appel à soutien financier.

Il est compliqué de faire une recension de tous les faits en cherchant le nombre de hoax, de fake, de théories du complot. 62 posts pour une seule journée sur le canal telegram, des centaines sur le site. D’ailleurs tout n’est pas faux, à l’image de ces statistiques qui viennent de l’INSEE indiquant une baisse de la natalité avec un solde naturel négatif sur le mois de mai 2025. Ces chiffres ont été largement relayé sur X/Twitter, en partie par la fachosphère qui s’en nourrit pour son discours décliniste, notamment Marion Maréchal et Nicolas Dupont Aignant. L’info voyage de Twitter à Telegram et est relayée par Pravda, et inversement.

Cette porosité est le cœur de chauffe de Portal Kombat, en s’intégrant dans un écosystème. Le site n’est rien d’autre qu’un agrégateur de contenu venant de Telegram et Twitter, mais également des canaux de propagande russe ainsi que des médias mainstream. Il y a à boire et à manger. Une quantité telle, que le tri devient extrêmement difficile à faire.

C’est là que c’est finement joué. Pravda n’a pas vocation à devenir un média trop exposé, il est lié à la Russie de façon très visible. La fonction de ce réseau est de s’intégrer dans un paysage, de relayer les voix en faveur de la Russie ou tout simplement toxiques dans le monde politique de chaque pays. Et in fine de s’inscrire dans un soutien à l’extrême droite ou aux populistes de tout poil.

Avec une identité graphique très sobre et un flux constant de news (dont la qualité est très discutable), Pravda donne l’image d’une agence de presse, avec une aura de sérieux et de crédibilité. Une façon de brouiller les cartes.