11 avril 2024 | Temps de lecture : 5 minutes

Papacito et les cochons laineux

C’est une sombre histoire de cochons laineux qui nous occupe aujourd’hui. Elle commence il y a quelques années dans la commune de Montjoi dans le Lot-Et-Garonne, un petit village de 570 habitants. Une banale histoire qui prend de curieuses proportions, amplifiée par la colère des agriculteurs français puis le salon de l’agriculture.

C’est un de nos lecteurs qui a attiré notre attention sur cette sombre histoire, une bonne base de polar.

Papacito et Mercadal

Le contexte

Le village verra s’opposer un éleveur porcin, Pierre Guillaume Mercadal et un voisin anglais. Un contentieux sur l’entretien et la réfection du chemin de Negra. Le maire Christian Eurgal est accusé par Mercadal de prendre le parti de son voisin anglais et de privatiser cette voie d’accès à son exploitation. L’affaire est d’une grande banalité et nous ne n’en aurions probablement jamais entendu parler. Sauf que…

Face à la République alliée à la perfide Albion, l’éleveur appelle un ami à la rescousse en la personne de Ugo Gil Jimenez, plus connu sous le nom de Papacito, provocateur de Youtube pour le compte de l’extrême droite. Papacito et lui se connaissent depuis 2018 (selon Papacito lui-même), une première rencontre autour de ce même chemin, à peu près à l’époque où Mercadal s’installe.

Celui-ci prend l’affaire à bras le corps et réalise une vidéo publiée en 2022 sur la plateforme Youtube et nommé « Le paysan, le Maire et le Lord ». Papacito vient donc venger les victimes de la guerre de cent ans et bouter le fameux Lord hors d’Occitanie avec l’aide notamment d’un autre influenceur, Georges Matharan. Dans cette vidéo d’une heure, il use de son ton habituel, mêlant pays réel tendance moyen-âgeux, menaces à peine voilée et allusions homophobes et virilistes. Une sorte de Mohammed Henni version identitaire.

papacito montjoi

Le maire dépose plainte et obtient une protection policière. Papacito est placé en garde à vue, puis en février 2024, il est jugé et risque jusqu’à 6 mois de prison avec sursis.

Retour à nos cochons laineux

Dans son enquête, Papacito dresse le tableau de l’intégralité du monde politique local, en particulier jean-Michel Baylet (et la scène local est plutôt de centre-gauche) qui utiliserait des méthodes mafieuses contre un paysan. Seul contre tous, le récit est séduisant. Une cagnotte est lancée pour aider la ferme du cochon laineux et culmine très vite à 200 000 €.

Fin 2023, Mercadal découvre des animaux morts dans son troupeau. Il établit tout de suite une hypothèse, ça vient de la mairie, décidément prête à tout, y compris empoisonner des cochons. Filmé par sa compagne, Clair B alias Charlène Blanc alias Epona, il vient de déposer le cadavre de l’animal sur le bureau du maire. A partir de là, il se met en scène lui-même, et c’est probablement avec l’aide d’Epona, ex-chanteuse de RIF (Rock Identitaire Français), poursuivie en France pour négationnisme et qui connait très bien les réseaux sociaux (attention, elle a souvent été confondue).

Nous sommes tout juste quelques semaines avant que les agriculteurs commencent à bloquer les autoroutes dans la région. Et là, plot twist ! Figurez-vous que Mercadal est membre de la coordination rurale, syndicat qui sert de proxy au RN pour toucher les agriculteurs.

La ferme des cochons laineux va devenir un bon client de Bolloré, invité chez Cnews en janvier, puis à l’occasion du salon de l’agriculture en février, il est invité chez Hanouna. Le jour de l’ouverture du salon, alors que Macron tente un coup de com’ dont lui seul à le secret (et qui gave tout le monde), des tensions éclatent entre agriculteurs et CRS. Mercadal est littéralement immense et imposant. Il use de sa carrure pour traverser la foule, ce qui ne passe pas inaperçu. Il fait le buzz.

Quelques jours plus tôt, il s’en était pris à Baylet sur le marché, ce qui lui avait valu 48h de garde à vue et une mise sous contrôle judiciaire. L’actualité de Mercadal est donc chargée.

La maladie D’Aujeszky

C’est là que le sort s’acharne. Si notre paysan lambda (qui n’en est pas vraiment un) perce sur la scène médiatique, il joue de malchance sur son exploitation.

Début mars, les services vétérinaires détectent dans son exploitation un herpèsvirus, la maladie d’Aujeszky. Le virus n’est pas transmissible à l’homme mais est terriblement contagieux chez les Suidés, donc le cochon et aussi le sanglier. A noter qu’elle est meurtrière pour les canidés. C’est aussi le revers de la médaille des élevages en plein air, surtout avec une populations de sangliers importantes (ils adorent les glands, et notre enquête prouve que la région n’en manque pas).

La préfecture va ordonner l’abattage du troupeau. C’est le coup de grâce pour l’éleveur dont le discours « moi contre le maire » (et qui épargnait la préfecture) devient littéralement un discours « moi seul contre tous ».

Sa théorie est très simple, si aucun autre éleveur n’est touché par une maladie si contagieuse dans la région, c’est que ses bêtes ont été infectées volontairement. La maladie est endémique mais plutôt rare. Il existe un vaccin pour les cochons, mais son usage est suspendu, le pays étant considéré comme « indemne ». Cela dit, des cas sont suspectés dans des élevages depuis plusieurs années (dans le Gers par exemple ou même dans toute la région depuis quelques temps).

Papacito continue de soutenir son ami, notamment sur Instagram, le 28 mars où il publie en story (contenu disponible 24h) :

Un petit nouveau dans la bande

En définitive, Mercadal et sa ferme du cochon laineux offre un récit extrêmement simple à exploiter.

Son personnage de catholique français, paysan bourru et charpenté, cigarillo au bec et franc du collier plaît dans le petit monde identitaire nourri aux stéréotypes. Alors si en plus, il élève des cochons, c’est carrément un héros.

Et Papacito ne s’est pas trompé, il a vu en lui une gueule qui passe bien et lui a ouvert les portes de la réinfosphère : VA+, Ligne droite, Livre noir… Et bien sur TPMP, qui adore ce genre de récits.

Au final, beaucoup d’accusations sont lancées sans preuves, jusqu’à des implications mafieuses pour faire taire un éleveur dans un petit village au bout d’un chemin (chemin qui est d’ailleurs le nœud du problème).

Mercadal est la figure dont toute cette sphère rêvait ! Idéaliser les agriculteurs, c’est formidable, mais aucun ne s’était risqué à lancer une exploitation. L’éleveur de cochons a donc naturellement trouvé sa place dans cette bande de gaillards aux fantasmes moyen-âgeux, tout en continuant à feindre l’étonnement quand il est qualifié d’extrême droite.

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