27 mai 2018 | Temps de lecture : 20 minutes

Les extrêmes droites – 4

CHAPITRE III. Pour des définitions des extrêmes droites

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CHAPITRE III. Pour des définitions des extrêmes droites

A. Définitions des extrêmes droites selon les chercheurs

Il est toujours indispensable dans ce genre d’étude, de s’intéresser à la façon dont les chercheurs ont traité cette question. Cas Mudde est un politologue néerlandais qui fait autorité sur le sujet. Celui-ci à recensé en 2004,  pas moins de 26 façons de définir l’extrême droite, avec 58 critères différents… Cas Mudde a catégorisé les familles d’extrême droite dans sa thèse intitulée «The Extreme Right Party Family. An ideological approach» (1998). Pour lui, appartiennent à l’extrême droite les formations qui combinent :

  • Le nationalisme (étatique ou ethnique) ;
  • L’exclusivisme (donc le racisme, l’antisémitisme ;
  • L’ethnocentrisme ou l’ethnodifférentialisme) ;
  • La xénophobie ;
  • Des traits antidémocratiques (culte du chef, élitisme, monisme, vision organiciste de l’État) ;
  • Le populisme ;
  • L’esprit anti-partis ;
  • La défense de la loi et de l’ordre ;
  • Le souci de l’écologie,
  • Une éthique de valeurs qui insiste sur la perte des repères traditionnels (famille, communauté, religion),
  • Un projet socio-économique qui mélange corporatisme, contrôle étatique sur certains secteurs et croyance forte dans le jeu naturel du marché.

1 – Définition selon le discours

L’historien français Michel Winock, dans son ouvrage «Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France» (2004) tente de définir l’extrême droite en  donnant neuf caractéristiques aux mouvements d’extrême droite qui découlent du « discours de la décadence :

  • «La haine du présent», considéré comme une période de décadence ;
  • «La nostalgie d’un âge d’or» ;
  • «L’éloge de l’immobilité», conséquence du refus du changement ;
  • «L’anti-individualisme», conséquence des libertés individuelles et du suffrage universel ;
  • «L’apologie des sociétés élitaires», l’absence d’élites étant considérée comme une décadence ; élites appartenant, bien entendu aux cercles du pouvoir!!!
  • «La nostalgie du sacré», qu’il soit religieux ou moral ;
  • «La peur du métissage génétique et l’effondrement démographique» ;
  • «La censure des mœurs», notamment la licence sexuelle et l’homosexualité ;
  • «L’anti-intellectualisme», les intellectuels n’ayant « aucun contact avec le monde réel » (Pierre Poujade).

2 – Selon le contexte socio économique du moment

Dans la Revue internationale de politique comparée 2005/4 (Vol. 12), le directeur de sociologie politique de l’université de Zurich Simon Bornschier, définit l’extrême droite comme un agrégat de « perdants » de la « mondialisation ». Il définit cette mondialisation comme :

« (…) la mondialisation peut être comprise au sens large comme un élargissement spatial et une intensification des interactions économiques et culturelles régionales ou globales ».

Il précise bien ne pas qualifier cette mondialisation comme « bonne » ou « mauvaise », mais comme un fait historique.
Cette « mondialisation » est susceptible d’intensifier de manière dramatique les clivages sociaux économiques et sociaux.

La gauche et l’extrême gauche va attribuer des causes économiques systémiques à ce déclassement, alors que l’extrême droite va y donner des causes identitaires. De plus, cette montée des partis d’extrême droite est favorisée par un affaiblissement du clivage droite/gauche et aux structures centralisées de ces partis.

3 – Selon les alliés

Selon le sociologue Erwan Lecoeur, on reconnait un parti d’extrême droite à ses fondateurs et à ses alliés. Le Front National est fondé essentiellement par des anciens de la collaboration ou bien par des nationalistes.

Dans les années 70:

« puis, tout au long des années 80, le FN accueille des identitaristes, des anciens de la collaboration, des soldats perdus de l’OAS, des nationalistes révolutionnaires et des poujadistes, poursuit Erwan Lecœur. Or, ces personnes n’ont pas quitté le Front national. Et ce n’est pas un changement de discours qui change fondamentalement un parti. »

http://www.francetvinfo.fr/politique/extreme-droite-extreme-gauche-mais-de-quoi-parle-t-on_427050.html

 

4 – Selon le mythe fondateur

Nicolas Lebourg, historien et spécialiste de l’extrême droite, pense cette galaxie politique comme une vision « organiciste » de la société. Cette vision d’une société « globale » vu comme un ensemble équilibré est selon eux en « décadence », troublé par certains apports « externes » qui semblent étranger au développement de cette société.

C’est une vision qui met en exergue la vision décliniste de l’extrême droite et sa stigmatisation des boucs émissaires.

5 – L’extrême droite, mouvement politique intrinsèquement lié au capitalisme

Karl Polanyi  était un économiste hongrois, spécialiste d’histoire et d’anthropologie économiques. Dan son ouvrage majeur « La Grande Transformation », il souligne l’absence de naturalité et d’universalité de concepts comme l’« Homo œconomicus » et « le marché », souvent présentés comme évidents ou ayant une valeur et une signification uniques ou intemporelles. Il y aurait donc une dichotomie majeure entre la démocratie (vision universelle) et le système économique capitaliste (non corrélé au système politique) Vision erronée et utopique qui résulte selon lui du « désencastrement » de l’économie (opéré et réussi par le libéralisme) et de son autonomisation hors de toute société globale.

L’extrême droite serait alors la réaction à la faillite de la « tentative utopique » de construction de sociétés et de relations internationales sur la base d’un « système de marché autorégulateur »(The Great Transformation: The Political and Economic Origins of Our Time”, Polanyi, Beacon Press; Boston, 2002 (1944), p. 31).

Le populisme d’extrême droite surgit donc de l’écart entre ce qui est promis dans la démocratie et ce qui est livré. En s’appuyant sur cet écart entre la promesse et la réalité, il exprime un antagonisme structurel beaucoup plus profond des sociétés capitalistes, c’est-à-dire entre l’égalité affirmée que professe la démocratie universaliste et l’inégalité réelle que l’ordre économique hiérarchique reproduit sans cesse. Le populisme est donc un symptôme de la difficulté à concilier ces deux réalités opposées du capitalisme. Sa croissance serait alors le signe d’une grave crise de la démocratie.

6 – Selon leur vision de l’économie libérale

Les travaux de Hans-Georg Betz (et d’autres chercheurs) mettent eux l’accent sur la vision économique néo libérale de l’extrême droite et un refus de la mondialisation.
Radoslaw Markowski, chercheur en sciences politiques polonais considère que les partis d’extrême droite d’Europe de l’Est ne rentrent absolument pas dans la définition de l’extrême droite donnée par H-G Betz, car ils ne présentent aucuns éléments néolibéraux dans leur idéologie. L’adoption du facteur économique comme élément de définition semble donc poser des problèmes. Cas Mudde propose un intéressant compromis qu’il nomme « économie nativiste ». Hans-Georg Betz lui, parle de « nationalisme économique ». Cette idée signifie, que l’économie doit être au service de la nation et seulement de la nation.

Cependant, certains partis populistes d’extrême droite sont favorables à l’union européenne… En raison de leur caractère nationaliste, ils refusent l’idée d’organes supranationaux, mais sont réceptifs à une coopération entre nations. Là où cela devient compliqué, c’est de savoir quelle coopération et comment elle doit s’organiser. Il n’existe pas de consensus entre partis de ce point de vu, l’idée de confédération ressurgit souvent, ainsi que les appels à une Europe des Nations, une Europe des Etats, etc.
En réalité si le refus de la perte de souveraineté nationale est clairement exprimé, il n’y a que très peu de précisions sur la construction du projet européen de l’extrême droite. Celle-ci ne se situe pour le moment que dans l’opposition à l’UE telle qu’elle est menée en ce moment et à l’énumération de ce qu’il ne faut pas faire.

L’extrême droite se distinguerait (à nouveau) par une opposition et des concepts extrêmement flous.

7 – Selon leur vision mystique

Stéphane François est un historien des idées et politologue français qui travaille sur les droites radicales et les sous-cultures « jeunes » ses recherches portent sur les relations entre les sous-cultures comme les skinheads, ou en particulier les sous-cultures musicales, comme la culture gabber, le néo-paganisme, l’ésotérisme et les droites radicales européennes, dont la Nouvelle Droite et ses dissidences, ainsi que sur le milieu culturel dans lequel baignent les sous-cultures politiques occidentales d’extrême droite, un milieu constitué d’éléments disparates — dont l’ésotérisme est l’un des plus importants — qui forment une protestation contre les savoirs « officiels ».

Une des constantes de l’extrême-droite est le refus des sciences « officielles » qui ne serait pas une vérité mais des faits relatifs, mis en valeur par « le système politique officiel en place » pour empêcher « le vrai peuple » d’arriver à une réelle connaissance de lui-même, de son histoire et de son destin. On retrouve dans cette tentative de définition un lien profond avec l’anti intellectualisme de l’extrême droite et son profond mépris pour les chercheurs.

Certaines parties de l’extrême droite nient les sciences sociales, mais d’autres vont jusqu’à nier les sciences dites « dures » comme la physique ou la médecine. On entre alors dans la soupe complotiste, professant une véritable remise en cause des événements historiques comme le négationnisme, les « fakes news » (« théories » du 11 septembre), les « chemtrails », mais également l’émergence de sectes (néo paganismes), de théories sur les phénomènes dit « paranormaux », ou même niant les concepts les plus simples de la physique comme les théories de la terre plate. À cet effet, les tenants de ces « sciences alternatives » ont substitué à la méthode empirique une approche « hyper critique ». Les écrits de Julius Evola et de René Guenon sont à cet égard des textes fondateurs de l’extrême droite

B. Caractéristiques des extrêmes droites

Nous avons dans un premier temps décrit le paradigme d’extrême droite, puis l’histoire des extrêmes-droites et leurs effets dans les différents pays du monde. Tout ceci afin de caractériser les fondements de cette galaxie politique, essayer d’en dégager des invariants structuraux et des éléments fondamentaux qui peuvent paraitre plus ou moins changeants — mais le sont-ils vraiment ?

C’est en tout cas ces « fausses variables » qui vont nous permettre par la suite de catégoriser des familles politiques au sein de la nébuleuse de l’extrême droite. D’ailleurs, ce sont elles qui permettent aux extrêmes droites elles-mêmes de se caractériser.

« L’extrême droite : mieux la connaître pour mieux la combattre », par le collectif La Horde, 2016

 1 – Tout « pèle mêle »

Notre survol historique va maintenant nous permettre a de dégager ces invariants et ces variables de façon plus objective.

Les invariants :

  • Une histoire du pays et/ou de la Nation fantasmée, d’où une propagande galopante et une réorganisation de l’éducation et de l’enseignement selon des critères dogmatiques ;
  • Croyance en des lois intangibles ;
  • Enjeux ésotériques et/ou complotistes ;
  • Une vision organiciste excluante du groupe : « nous » et « eux ». Pour une organisation tribale de la société ;
  • Populisme et démagogie ;
  • Rhétorique particulière : discours « anti-système », « novlangue » ;
  • La désignation de boucs émissaires étrangers au groupe comme cause de déclin, de l’unité et du fonctionnement du groupe ;
  • Dédain des droits de l’Homme, sexisme, éloge des valeurs ultra réactionnaires, homophobie, persécution voire élimination des boucs émissaires, des opposants politiques ;
  • Un chef charismatique : césarisme, autoritarisme, dictature, totalitarisme ;
  • Une éloge du nationalisme dont découle naturellement une glorification des valeurs martiales, de l’armée ;
  • Une obsession de la sécurité nationale envers les ennemis extérieurs mais aussi intérieurs, d’où une obsession du sujet de la criminalité ;
  • Primauté de la police sur la justice (discours sécuritaire) ;
  • Diminution, voire suppression des corps intermédiaires.

 Les variables :

  • Un amalgame entre l’état et la religion ;
  • Une vision de l’économie néo libérale refusant le « mondialisme » ;
  • Corporatisme ;
  • Des programmes politiques variables, flous et parfois contradictoires ;
  • Mépris pour les sciences, les intellectuels et les arts ;
  • Choix du bouc émissaire ;
  • Utilisation acceptable de la violence comme outil politique.

2 –  Les invariants

Les « invariants structurels » que nous présentons peuvent ne pas apparaitre comme tels au premier abord. C’est pourquoi nous allons les préciser quelque peu. Certaines de ces caractéristiques sont liées les unes aux autres, là aussi nous allons tenter d’y voir plus clair.

Reprenons notre liste point par point :

➥ Une histoire du pays/de la nation fantasmée d’où une propagande galopante et une réorganisation de l’éducation/de l’enseignement selon des critères dogmatiques

Comme nous l’avons vu dans la première partie, les fondements idéologiques de l’extrême droite se trouvent dans ce que l’on nomme le « romantisme politique ».

Bien loin des faits historiques dégagés par des évènements identifiés, datés, étudiés et organisés avec une méthode que l’on qualifie « d’historiographique », cette façon de voir l’histoire a contribué au développement du « nationalisme romantique » et au développement d’une « histoire complotiste » ou « pseudo histoire ». Cette « pseudo histoire » a ainsi développé les bases du « Protochronisme ».

3 – Le « Nationalisme romantique »

C’est un mouvement littéraire, qui se veut basé sur des textes populaires et haussant les peuples au rang d’héritiers de traditions culturelles ou de peuples — voire de races — ce qui s’avérera comme un pas vers une légitimité d’existence politique, mais posera aussi les jalons de la pensé d’extrême droite…

Ces œuvres n’ont rien d’authentiques, et seront parfois démontrées comme étant des faux, ou des exagérations majeures (l’exemple du livre « Ossian » en est une parfaite illustration). Cependant, malgré la découverte de la « supercherie », ce texte sera encore, et est parfois toujours, considéré comme prouvant la grandeur des traditions populaires galloises. Ce sera alors présenté en opposition à la culture antique, panache des cours royales d’Europe, souvent inspirées par la cour de France.

Le XIXème siècle voit en effet se développer des idées d’émancipation de ces structures aristocratiques anciennes, ce qui explique le succès de ces œuvres. Les futurs émancipés ayant besoin eux aussi de textes fondateurs afin de participer à leur « mythe fondateur ».

Ce qui est très paradoxal, car si cette littérature a contribué à cette émancipation, elle a également fortement contribué à la création de mouvements politiques nationalistes radicalement opposés à cette émancipation. Par exemple, le philosophe Johann Gottlieb Fichte (1762 – † 1814), disciple de Kant se sert de cette pensée pour justifier la résistance aux conquêtes Napoléoniennes :

« Les liens premiers, originels et vrais des États sont sans aucun doute leurs liens internes. Ceux qui parlent le même langage sont liés les uns aux autres par une multitude d’attaches, invisibles par nature-même, bien avant qu’aucun art humain ne naisse ; ils se comprennent et ont le pouvoir de continuer à faire en sorte qu’ils se comprennent encore mieux ; ils s’appartiennent mutuellement et sont par nature un tout uni et indivisible. »(Kelly, 1968, pp. 190-191)

« C’est seulement quand chaque peuple, laissé à lui-même, se développe et se forme lui-même d’un commun accord ses propres qualités particulières, et seulement quand dans chaque peuple chaque individu se développe lui-même en accord avec cette qualité commune qu’avec ses propres qualités, alors, et alors seulement, la manifestation de la divinité apparaît dans son miroir véritable comme il devrait être ; et seul un homme qui, soit est totalement dépourvu de la notion de la primauté du droit et l’ordre divin, soit en est un ennemi obstiné, pourrait prendre sur lui de vouloir interférer avec cette loi, qui est la loi suprême dans le monde spirituel ! »(Kelly, 1968, pp. 197-198)

Ces textes furent accompagnés d’une volonté de les raconter dans des dialectes locaux. Ainsi, ils furent associés à la création d’une syntaxe moderne pour créer une version rénovée d’une langue. Des intéressés purent alors apprendre ces langues et élever leurs enfants dans cette culture, forgeant alors en partie le programme d’établissement d’une identité distincte. Le « landsmål », qui est le fondement du norvégien moderne, est la première langue à suivre ce processus, rejointe ensuite par des langues comme le tchèque, le slovaque, le finnois, puis plus tard l’hébreu… langues autour desquelles un nationalisme put se constituer.
La Katharevousa fut créée au début du XIXe siècle ; c’est un dialecte grec artificiel utilisant délibérément des termes archaïsants dérivés du grec ancien, utilisé comme racine culturelle commune pour unifier la nouvelle nation grecque. La Katharevousa excluait tout vocabulaire non-grec venant de l’italien et du turc ; le nationalisme romantique est par essence exclusif. Au XXe siècle cet aspect aura des conséquences dramatiques.

Les processus linguistiques du nationalisme romantique exigeaient des modèles culturels linguistiques. L’historiographie romantique était centrée sur les biographies et produisait des figures culturelles héroïques.

Le concept d’« épopée nationale », c’est-à-dire une œuvre légendaire profondément mythifiée de poésies d’une importance déterminante pour certaines nations, est une autre manifestation du nationalisme romantique. La découverte (ou plutôt la re-découverte) de Beowulf sur un seul manuscrit, d’abord retranscrit en 1818, vint de l’impulsion du nationalisme romantique, après que le manuscrit soit resté une curiosité ignorée des recueils scolaires durant deux siècles. Beowulf tombait à pic pour procurer au peuple anglais son « épopée nationale » qui lui faisait défaut, juste quand le besoin se faisait ressentir : le fait que Beowulf était un Goth de Suède fut facilement occulté dans les esprits. La falsification littéraire pseudo-gaélique d’Ossian a échoué en définitive à remplir le besoin de la première génération de romantiques.

La chanson de Roland qui n’était plus lue ni jouée, s’évanouissait doucement des mémoires quand l’antiquaire Francisque Michel transcrit une vieille copie dans la bibliothèque bodléienne et l’édita en 1837. Ce fut le moment adéquat : l’intérêt des Français envers leur épopée nationale était en plein renouveau sous l’influence de la génération de romantiques. En Grèce, « l’Iliade » et « l’Odyssée » prirent une nouvelle dimension avec la guerre d’indépendance grecque.

 La pseudo histoire : le « protochronisme »

Dans beaucoup de pays où le nationalisme est puissant, se crée une « pseudo histoire », c’est-à-dire une histoire fantasmée, dont les prémices, les études et les conclusions ne respectent pas les méthodes historiographiques.

En Allemagne, on assiste au développement des théories sur « l’aryanitude », les mythes de « Mû » et de Thulé ». En Italie, Mussolini magnifiera les ancêtres mythiques de l’Italie. Au Japon, la théorie de la « continuité » et du « peuple homogène » considère que la population de l’archipel n’a plus connu aucun apport extérieur ni transformation génétique depuis son premier peuplement à l’époque paléolithique, établissant ainsi une lignée ininterrompue jusqu’à aujourd’hui. En Turquie, dès l’époque d’Atatürk et sous son égide, l’ethnie et la langue turques, substituts laïcs à l’islam, sont présentés comme antérieures en Anatolie à toutes les autres civilisations connues.

C’est précisément à cette période qu’en France, le « roman national » fût crée avec au centre une conception de l’histoire autour de figures populaires et des légendes qui les entouraient. On vit réapparaitre l’intérêt pour Clovis, Charles Martel, Jeanne d’Arc, toutes figures dont les plus grandes parts de la vie étaient alors fantasmées, voire totalement inventée. Ce roman national connu son apogée avec sa récupération par des historiens comme Jules Michelet. Ceux-ci fondèrent un enseignement de l’histoire par ce « roman national » qui perdure encore aujourd’hui, plus d’un siècle après sa mort ! Et peu importe si les études scientifiques historiques de la fin du 20ème siècle ont complètement remises en cause cet enseignement pour son absence de rigueur scientifique et son enseignement basé sur des faits inexistants et des analyses fantaisistes, l’extrême droite et une bonne partie de la droite continuent à la défendre comme étant une vérité scientifique…

Avec la création des « états nations » à la fin du XVIIIème siècle, se pose alors la question de ce qui justifie l’appartenance d’un individu au groupe national. L’extrême droite y a répondu par des réponses fantasmées. L’histoire mythique devient le creuset de la réalité d’aujourd’hui. Immanquablement, la réalité du moment, allant à l’encontre de cet « âge d’or » rêvé, va se poser la question de la dégradation de la société et sur les causes de ce déclin. Par ailleurs, dans sa volonté organiciste, la pensée d’extrême droite va attribuer ces causes à tout ce qui ne relève pas de caractéristiques qui lui semblent essentielles pour appartenir au groupe. Caractéristiques qui relèvent de la nature et non de l’organisation sociale ou de la culture.

Ainsi les étrangers, leurs coutumes, leurs langues, leurs religions semblent autant d’obstacles à leur intégration dans le corps national. Certaines extrêmes droites développeront alors le racisme biologique afin de justifier cette exclusion, l’infériorité manifeste de l’étranger, son avilissement, voire son extermination !

➥ Croyance en des lois intangibles

Comme nous l’avons vu précédemment, l’extrême droite croit en des lois intangibles divines, surnaturelles, qui organisent la société telles qu’elle l’a conçoit. En l’absence de réalité scientifique (sociologique, historique, ethnologique) pour justifier sa vision, il lui reste le surnaturel et le complot pour expliquer le déclin de leur « société idéale ».

➥ Enjeux ésotériques et complotistes

Toujours dans le même esprit, cette vision organiciste justifie une pensée surnaturelle qui dépasse l’homme et sa perception. Relevant de l’inexplicable, de la religion, du magique ou du complot d’initiés — nécessairement illuminés — et tout puissants. C’est le début de la « pensée complotiste », initiée par l’abbé Barruel et sa vision monocausale et complotiste de la survenue de la révolution française.

C’est à partir de ce moment que naissent de nombreux faux comme le « Canular de Taxil » , le « Talmud Démasqué » ou les « Protocoles des sages de Sion ». Faux hier, toujours faux aujourd’hui, mais dont de nombreux sites d’extrême droite justifient encore de l’existence.

 

➥ Une vision organiciste excluante du groupe : « nous » et « eux ». Pour une organisation tribale de la société

Tout corps peut être attaqué par des microbes, c’est exactement la vision de l’extrême droite. Tout ce qui ne correspond pas aux composantes de leur société idéale doit être affaibli, voire éliminé. C’est en quelque sorte une vision « tribale » de la société. Une telle vision oblitère toute appréciation de l’altérité et du droit à la ressemblance entre Humains. Ce qui fonde l’Homme pour un fasciste, c’est sa différence avec les humains du groupe d’à coté, qu’il soit un peuple, une ethnie, une nation, une religion, une croyance, ou une vision philosophique.

➥ Populisme et démagogie

Dans le prolongement de cette vision organiciste, le dirigeant d’extrême droite est nécessairement « populiste ». Nous employons ce terme avec une définition précise, bien loin des approximations actuelles.

Le populisme est une façon d’appréhender la politique et l’organisation gouvernementale par une conception organiciste (à nouveau). Rappelons ce que nous évoquions dans notre première partie. Le corps social est vu comme un tout indissociable dans toutes ses composantes. Le dirigeant est l’émanation des lois surnaturelles qui régissent cette société parfaite. Tout objet qui se mêle de contrarier ce processus harmonieux tend à le détruire, ce qui implique une relation directe entre le dirigeant et son peuple, nul besoin de corps intermédiaires, nul besoin d’institutions réglant la marche du pouvoir. Ceci inclus les institutions démocratiques, les médias « dissidents », les corps intermédiaires, et les boucs émissaires…

Le dirigeant est l’émanation du peuple, ce qu’il veut est la volonté du peuple ; ce que veut le peuple est l’acte du prince.

Bien entendu le dirigeant d’extrême droite va adjoindre à ce paradigme un discours adapté et donc nécessairement démagogique.

➥ Rhétorique particulière : discours «anti-système», «novlangue»

Comme expliqué précédemment, toute organisation sociétale qui ne relèverait pas de cette conception est vue comme néfaste, et qualifiée de « système ».

 

« Le Système » (en allemand : « Das System ») était un terme utilisé par les nazis pour désigner avec mépris la République de Weimar et ses institutions. Dans les publications nazies et la propagande, le mot fut employé dans un certain nombre de dérivés : la période allant de la Révolution allemande de 1918 – 1919, à la saisie nazie du pouvoir (en allemand : « Machtergreifung ») en 1933 avait été surnommée « L’heure du système » (en allemand : « Systemzeit ») et les opposants politiques des nazis de cette période ont été appelés « les partis du Système », « les politiciens du système », « la presse du Système ». Après l’arrivée au pouvoir des nazis, le terme a été rapidement adopté à l’usage quotidien.

Dans cette optique, le dirigeant populiste va adopter (plus ou moins) une vision totalitaire de la société. Tout élément de cette société doit avoir une « pensée unique » et doit pouvoir se défendre contre les agressions de l’extérieure. C’est ainsi que le propagandiste d’extrême droite va développer un langage unique qui va lui permettre d’exclure ceux qui ne le pratiquent pas, affaiblir les idées qui pourraient poser questions, simplifier à l’extrême en associant des idées contraires en un seul mot (mots valises), préférer le mot qui exprime une idée floue plutôt que précise. D’où la propension des partisans de l’extrême droite à inventer des mots concepts que personne n’est capable de définir précisément : «français de souche», «mondialisme», «fascisme vert», «droitsdelhommisme», etc. En découle également une rhétorique extrêmement contrôlée et normée. Nous n’oublierons pas que les partis/régimes d’extrême droite sont des champions de la propagande !

➥ La désignation de boucs émissaires étrangers au groupe comme cause de déclin, de l’unité et du fonctionnement du groupe

Au fur et à mesure de notre description et de nos explications, on voit que tout se tient. Suite à ces conceptions décrites, on comprend bien que chaque groupe d’extrême droite va se choisir un fantasme, un ennemi personnel, ethnique, racial, religieux, etc. Ce qui est assez remarquable, c’est que si le choix de cet ennemi est éminemment variable, les reproches et les accusations elles, sont invariables.

➥ Dédain des droits de l’Homme, sexisme, éloge des valeurs ultra réactionnaires, homophobie, persécution voire élimination des boucs émissaires, des opposants politiques.

Bien sûr, cet ennemi est moins qu’humain — voire « inhumain » — d’où une persécution plus ou moins importante à son endroit et des atteintes plus ou moins graves aux droits de l’Homme dans les pays qui adoptent ce type de gouvernement. Cela va d’une stigmatisation médiatique, qui peut mener à des actes individuels et/ou collectifs contre l’ennemi, aux pires crimes contre l’humanité que nous connaissons bien.

➥ Un chef charismatique : césarisme, autoritarisme, dictature, totalitarisme

Corollaire indispensable du populisme et de la vision organiciste, l’extrême droite est dirigé par un chef. Celui-ci sait. Il est en congruence avec les désirs de son peuple puisqu’il représente le « pays réel » contre les élites.

Elle va ensuite connaître la célébrité sous la plume de l’écrivain Charles Maurras, théoricien du « nationalisme intégral » devenu une inspiration du régime de Vichy après la « divine surprise » que constitua la débâcle de juin 1940. Dans son Enquête sur la monarchie (1900), Maurras écrit :

« Le pays officiel et légal, qui s’identifie au gouvernement parce qu’il en retire l’aliment de sa vie, ce petit pays constitutionnel commence néanmoins à voir et à entendre l’émotion qui gagne le pays vrai, le pays qui travaille et qui ne politique pas. […] Nous venons d’assister à des élections dites “républicaines” qui n’ont été que des coalitions d’intérêts organisées par de petits fonctionnaires inquiets. […] Ce sont […] 20.000 à 30.000 [citoyens] qui, aux jours d’élection, à la faveur d’occasions fortuites, font embrigader tout le reste. Par rapport à ce clan actif et politiquant, tout le reste des quarante millions d’habitants du pays est passif et politique, naît, vit, meurt, comme s’il était le sujet de ce souverain épars en 20.000 ou 30.000 membres. »

Rappelons que sous la plume de Maurras, ce «pays légal qui s’identifie au gouvernement» est occupé par «quatre États confédérés» : «juifs, protestants, maçons, métèques». Trois décennies plus tard, l’expression de «pays réel» allait donner son titre au journal du mouvement rexiste de Léon Degrelle, principale figure du fascisme et de la collaboration en Belgique.

Suivant le degré de fanatisme de la population, le corpus idéologique du parti d’extrême droite, on assistera à la mise en place d’un style de gouvernement de type césariste à la pire dictature totalitaire.

➥ Un éloge du nationalisme dont découle naturellement une glorification des valeurs martiales, de l’armée

Désormais, nous comprenons mieux pourquoi Romain Gary disait :

«Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalisme, c’est la haine des autres.»

que Charles De Gaulle déclinera en :

«Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres.»

La vision nationaliste implique nécessairement des ennemis, or comme nous l’avons vu, ces ennemis sont « mortels ». Ce qui implique une armée forte, totalement dévouée à la cause du chef charismatique, prête aux pires excès, au point du crime contre l’humanité comme le pratiqueront les armées nationales socialistes.

Avoir une armée permet aussi la réalisation de projets nationalistes et/ou irrédentistes, c’est-à-dire de prendre par la force les terres où vivent les autres parties du corps de la société.

➥ Une obsession de la sécurité nationale envers les ennemis extérieurs mais aussi intérieurs d’où une obsession du sujet de la criminalité

L’extrême droite considère que la criminalité est le pire symptôme du déclin de la société, d’où la mise en place d’une police et d’une justice expéditive. Le citoyen-fourmi doit pouvoir vaquer à ses occupations nécessaires au bon fonctionnement de sa société. Bien entendu, malgré toutes les études prouvant le contraire, le crime est toujours associé au bouc émissaire choisi.

On notera que ces idéaux ne sont pas respectés pour tous… « L’aristocratie » du régime d’extrême droite est exemptée de ce devoir d’exemplarité et les oligarques fascisants vivent souvent dans l’opulence la plus insolente, le vice qu’eux-mêmes dénoncent et le crime qu’ils réprouvent.

➥ Primauté de la police sur la justice (discours sécuritaire)

À ce discours sécuritaire inhérent aux régimes fascisants, bien entendu on préférera « l’efficacité » au droit. C’est pourquoi les partis d’extrême droite fustigent la justice et câlinent la police quand ils sont dans l’opposition, et changent les institutions une fois au pouvoir tendant vers le « tout répressif ». La police n’est pas un contre pouvoir, c’est un bâton que peut utiliser le dirigeant comme bon lui semble.

La justice dispense la loi mais doit aussi se conformer à des règles éthiques, ce qui en fait un contre pouvoir à contrôler absolument.

➥ Diminution voire suppression des corps intermédiaires

Ce point semble désormais évident : le dirigeant étant l’émanation du peuple, sa volonté ne saurait être contrariée. Cette vision peut aller jusqu’à l’attribution du statut de bouc émissaire à certains corps intermédiaires (partis politiques ou associations, comme les franc maçons par exemple).

3 – Les variables

➥ Un amalgame l’état et la religion

Lorsque la société parfaite incluse une vision théocratique alors le style de gouvernement peut se fondre avec la vision divine. Ce n’est pas toujours le cas, cela va d’un style favorisant une religion, à l’interdiction de toutes les autres, voire à un régime d’extrême droite théocratique. Les tenants de cette société d’extrême droite sont alors calqués sur les canons d’une religion. Nous Debunkers incluons les régimes du style « DAESH » dans cette définition.

➥ Une vision de l’économie néo libérale refusant le « mondialisme »

Comme nous l’avons vu ci-dessus, les régimes d’extrême droite sont néo libéraux, mais leur idéologie inclus de se protéger de « l’extérieur » en refusant le mondialisme. Néanmoins, cette conception est tout de même variable au vu de la coexistence en Europe de partis combattant farouchement l’Union Européenne ou de certains en acceptant (et même favorisant) l’existence. Tout dépend finalement de l’importance qu’accorde à l’économie le groupe d’extrême droite, certains sont extrêmement flous sur le sujet.

➥ Corporatisme

Sur le même sujet, certains groupements d’extrême droite mélangent leur refus de la « mondialisation néo libérale » et de l’existence de la lutte de classe. Ceux-là optent pour une « troisième voie » d’inspiration corporatiste. On notera qu’en 2012, le FN était le seul parti qui incluait des mesures favorisant les associations ordinales.

En 2017, deux partis sont concernés : le Front National et l’Union Populaire Républicaine (UPR).

➥ Des programmes politiques variables, flous et parfois contradictoires

Les corpus idéologiques et programmatiques des partis d’extrême droite sont souvent flous. Ni le fascisme, ni le nazisme n’ont fait preuve du développement de théories économiques et politiques soignées et argumentées… et c’est encore le cas aujourd’hui pour tous les partis d’extrême droite.

➥ Mépris pour les sciences, les intellectuels et les arts

Ceux-ci sont les émanations vivantes du « système », leurs gardiens du temple pour les adeptes de la pensée d’extrême droite. C’est pourquoi chaque dictature d’extrême droite tend à créer « sa » propre science, à contrôler les intellectuels, voire à les réprimer, et à créer son art « revivifié ».

➥ Choix du bouc émissaire

Une variable qui semble évidente, mais qui est une des meilleures pour catégoriser les familles d’extrême droite.

➥ Utilisation acceptable de la violence comme outil politique

Le nationalisme virulent, l’exaltation des valeurs virilistes et le sexisme se mêlent à une admiration pour la violence acceptable en tant qu’émanation de la « vérité ». C’est ainsi que se développent chaque années les « camps de vacances survivalistes » ou les entrainements sur le terrain au combat.

4 – Choix des critères de catégorisation

Les invariants nous permettent dorénavant de catégoriser un parti ou un groupe dans son appartenance à l’extrême droite. Et ce sont les variables qui vont nous permettre de dégager les différentes familles de cette extrême droite. Chacune de ces variables sera détaillée ou bien « étalonnée ». « Etalonnée » voudra dire que nous allons quantifier l’importance de ce critère pour la famille d’extrême droite en question. Les différents grades seront : « Aucun », « intérêt mineur », « Moyen », « Majeur », « Primordial ».

Si ce système vous parait encore flou, vous allez pouvoir mieux l’appréhender par la suite.

• Un amalgame entre l’état et la religion : Ce critère quantifie l’importance de la religion pour le groupe d’extrême droite (« ED »).

• Une vision de l’économie néo libérale refusant le « mondialisme » : Ce critère quantifie « l’acceptation » de la mondialisation. Et l’importance que cette ED accorde à l’économie.

• Corporatisme : Le groupe d’ED est il adepte de la « troisième voie » refusant également libéralisme et « marxisme » ?

• Des programmes politiques variables, flous et parfois contradictoires

Ce critère par sa nécessité d’une étude plus détaillée sur le sujet ne sera pas utilisé comme critère objectif.

• Mépris pour les sciences, les intellectuels et les arts : Ce critère va mesurer l’importance de la rhétorique complotiste dans les choix du groupe d’ED.

• Choix du bouc émissaire : Ce critère souligne le choix du/des boucs émissaires dans la pensée du groupe d’ED, ainsi que l’importance que celui-ci accorde à ce sujet.

• Utilisation acceptable de la violence comme outil politique : L’importance ou non, de l’intimidation, de la violence et de la menace par cette ED.

Tout ceci nous permettra de classer les différents groupes de la « fachosphère » suivant ces critères variables :

 

L’importance
de la religion
Adhésion au néo
libéralisme / au
protectionnisme
/ au
corporatisme
Adhésion
aux théories
du complot
Choix
d’un bouc
émissaire
Utilisation
de la
violence

 

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