11 juillet 2025 | Temps de lecture : 7 minutes

Le héros immigré est toujours louche

Le héros immigré est une figure qui n’est pas si singulière. Le dernier en date s’appelle Fousseynou Cissé. Lors d’un incendie dans le 18ème arrondissement de paris, ce dernier sort sur le toit de son immeuble pour évacuer ses voisins directs, une famille avec enfants en bas âge. De l’immeuble d’en face, une autre voisine filme toute la scène. Le feu n’est pas complètement éteint que la vidéo fait déjà le buzz. So 2025. 

Et bien évidemment, les réactions n’ont pas tardé à suivre. Les commentaires de la fachosphère se sont mis à fuser. Quelle surprise ! Mais alors qu’est ce que ça raconte sur notre société ? 

capture twitter feyssounou cissé

Ils nous volent not’ travail !

La séquence est courte. Quelques minutes sur un toit, mais surtout, trois jours pour passer à autre chose. Ce vendredi 4 juillet, un incendie se déclare dans un immeuble parisien. Des habitants sont pris au piège des fumées, les pompiers arrivent (plus de 70 seront mobilisés, un sérieux incendie donc). Mais en attendant, au milieu d’une fumée épaisse, un voisin monte sur le rebord d’un toit en zinc et extirpe les enfants un par un pour les mettre en sécurité.

N’importe qui aurait fait ça ! Lui-même, très humble, dit qu’il n’avait pas le choix. Bon, n’importe qui, c’est pas sûr, l’auteur de ces lignes est bien incapable de prétendre ça, le vertige venant avec l’âge, et si… si la peur nous tétanise à l’instant T ? Voilà, on ne sait pas, le moment révèle la personne. Bravo à lui.

Mais dans une époque où l’extrême droite phagocyte toute question de société, nous ne pouvions pas faire l’économie d’une bouffée de haine raciste. Parce que oui, évidemment, cet homme devient un objet politique. Et ça, on ne le décide pas. Quand monsieur Cissé passé sa fenêtre pour aider ses voisins, c’est juste parce que le danger est imminent et que ses jambes ne se sont pas tétanisées.

La médiatisation emboîte le pas au buzz des réseaux, et il y a une certaine légitimité. Votre serviteur a découvert la séquence sur Instagram et l’a regardé du début à la fin, mélange de fascination et d’admiration. Une fois le phénomène d’amplification, la suite est connue : interview, appel filmé du président et récompense. Et en même temps, si on ne lui file pas une breloque à lui, à qui on les donne ?

Ce n’est qu’après l’avoir montré à d’autres que s’est imposé le réflexe de vérifier les commentaires.

La violence des commentaires

Vous connaissez le gimmick, « ne jamais, Ô grand jamais, regarder les commentaires sur internet ». Il y aurait beaucoup à dire sur ce que sont devenus ces espaces, depuis les newsgroups et les forums jusqu’à aujourd’hui. Il faudra peut être un jour revenir sur ce qu’a été, par exemple, l’espace des commentaires de feu Rue89.

Parce qu’en 2025, il est un fait indéniable : le commentaire est vecteur d’idéologie politique. Les fafs agissent par étouffement, en saturant les espaces commentaires jusqu’à en pousser à la fermeture. La masse empêche toute modération efficace, sauf à payer des équipes h24. Et l’affaire Feyssounou Cissé ne déroge pas à la règle. Si aucun cadre ne s’est risqué sur cette affaire, la raison est simple : il n’y a aucun gain à s’en prendre à un type qui vient de sauver une famille. Mais surtout, les militants feront le boulot sous chaque article de presse. En cas de gros buzz, il suffira aux Messiha, Sautarel ou Bardella de s’emparer de ce qui a déjà été fait.

capture twitter feyssounou cissé 2
Sous un post de LCI

Là où ce cas est intéressant, c’est dans sa dimension modeste. Entre une canicule en Europe et des les incendies dans le sud, ainsi qu’une catastrophe naturelle aux USA avec des dizaines de morts, l’incendie parisien est un phénomène largement relativisé. Les polémiques du moment tournent autour de l’armement de la police municipale (l’interview de Mathilde Panot, le dimanche 6 juillet au soir). L’espace est déjà occupé et Cnews embraye le lundi matin sur les frères musulmans et les « barbares » qui veulent empêcher le chantier de l’A69.

Sous un post du compte Cpasdeslol

Nous avons donc un échantillon assez réduit, mais significatif, de commentaires. Et le premier constat est là, ces fins limiers des internets ont remarqué que Feyssounou Cissé est noir. Et ce seul constat leur permet de tirer des conclusions, il y a un traitement de faveur. Parce que Feyssounou Cissé est noir (et à fortiori étranger), il aurait le droit à des privilèges : médiatiques, politiques, sociales…

Et nos sdf ?

Il y a donc un  procès d’intention. Ou plutôt une intentionnalité supposée par ces commentateurs : quand un étranger sauve quelqu’un, c’est forcément intéressé.

D’autant plus étonnant qu’au RN, en quête de respectabilité, Jacobelli recommande lui-même monsieur Cissé pour la naturalisation. Une respectabilité dont ne s’embarrassent jamais les commentateurs de l’ombre.

Le précédent Mamoudou Gassama

Le 26 mai 2018, Mamoudou Gassama s’illustre en escaladant la façade d’un immeuble dans le même 18ème arrondissement de Paris. S’il prends ces risques, c’est pour venir en aide à un gamin accroché à un balcon et qui menace de chuter de plusieurs étages. L’affaire fait grand bruit et est largement médiatisée.

Mamoudou Gassama, à l’époque, est sans papier. En signe de reconnaissance, le pouvoir politique lui offre la nationalité française (ce qui arrive de temps à autres). Et ça fait jaser les fachos. Pendant des semaines, les espaces commentaires vont être saturés d’insinuation. Car, on ne peut pas reprocher la démarche de la personne, alors il faut trouver une faille, un coup monté.

Berkoff et le complotisme

André Berkoff, l’inénarrable pitre qui officie sur Sud Radio a invoqué tout un tas d’ingénieurs pour démontrer l’impossibilité… de la chute de l’enfant. Pourtant, il y a consensus sur le fait qu’un enfant était bien suspendu au dessus du vide.

capture vidéo Berkoff youtube gassama
La miniature n’a pas été choisi au hasard – guillemets avec les doigts

« Est-il possible qu’un enfant de 4 ans tombe et se rattrape tout seul ? » lance-t-il en ouvrant son émission en 2019. Puis de citer Albert Londres, histoire de bien piétiner les dernières miettes de déontologie. Vont se succéder au micro des ingénieurs et physiciens, dont VCalery Rousseau, qui a même publié un article pour le compte de l’université de Cornell :

« In this paper, it is shown by using kinematic equations and Newton’s laws that the above scenario is impossible. It is important here to point hat we don’t claim that the rescue of the child by Mamoudou is staged, we only consider it as a possibility. The only claim that we make is that, as opposed to what was reported in the news, the child didn’t fall from one or more stories. »
Valery Rousseau, The Mamoudou Gassama Affair – 2018

Invoquer des scientifiques (docteur en physique, même nucléaire), à grand renforts d’équations pour signifier que l’affaire était louche. L’enfant ne pouvait pas être tombé. pourtant il était bien là, et quelqu’un est monté le chercher. Les commentaires ne trahissent aucune ambiguïté, c’était un coup monté pour avoir la nationalité française.

commentaire vidéo youtube berkof gassama
Des commentaires sont au diapason

Là encore le héros immigré est louche, l’histoire est trop belle et il faut s’en méfier (alors même que les dessous sont assez sordides, l’enquête révélera que l’enfant avait été laissé seul chez lui, dans le déni de toute règle de sécurité).

Fdesouche, l’acharnement sur le long terme

Nous parlions de Rue89 plus haut, et l’un de ses commentateurs assidus, habitués à la haine était Pierre1er aka Pierre Sautarel, fondateur de Fdesouch et ancien conseiller à la communication du FN.

Son site va consacrer plus d’une trentaine d’articles à Mamoudou Gassama, relayant ses moindres faits et gestes, jusqu’à son échec chez les pompiers de Paris.

Ce qui s’est joué ici est la construction d’un imaginaire. Conjugué à une défiance envers tout discours institutionnel, la haine raciste de ces animateurs de la fachosphère ont forgé un imaginaire. Ils ont figé une image, une construction mentale, une suspicion envers les immigrés, y compris et surtout en cas de bonne action.

Conclusion

Le cas Gassama avait été singulier, tant par l’aspect spectaculaire du sauvetage que par la violence des réactions. Mais des sauveurs étrangers, dans des situations parfois compliquées, il y en a régulièrement :

Dans la plupart des cas, le héros du jour obtient une carte de séjour d’un an. Un an de répit, ce n’est pas énorme, mais il est moralement difficile pour l’institution d’expulser quelqu’un qui s’est distingué par une bonne action.

Seulement ici, Fousseynou Cissé n’est pas sans-papier, il travaille même à la mairie de Paris. Strictement rien à se mettre sous la dent.

Mais il y  a toujours quelque chose de louche chez l’immigré, et surtout le héros immigré.

Ce qui s’opère ici est un renversement, une mise en lumière d’un fétichisme de la nationalité, de la couleur de peau et de l’origine. Dans l’imaginaire du facho, l’immigré c’est l’OQTF, le danger, une menace. Ce n’est pas faute de démontrer que le statut d’étranger ne représente ni une menace, ni une garantie, que le fait d’être en situation irrégulière ne signifie rien d’autre que d’être dans une situation difficile (parfois rendue compliquée par les institutions elles-même et le casse-tête administratif).

L’extrême droite se caractérise par cette conception du monde, en fétichisant la nationalité jusqu’à réécrire l’histoire, en attribuant une intentionnalité matérialiste a posteriori. C’est un monde où rien n’est jamais gratuit, et où aider son prochain en difficulté implique nécessairement une contrepartie. De là à dire qu’ils parlent surtout d’eux-même…

To top