À la fin, un génocide
L’étincelle
La tragédie débute dans la nuit du 6 au 7 janvier 1994, au soir même de la mort du président Juvenal Habyarimana. L’avion qui le transportait a été abattu au-dessus de Kigali. Au cours de cette première nuit sont d’abord assassinés les Hutus modérés ou opposants du parti au pouvoir, le MRND. Les massacres de tutsis, hommes, femmes et enfants, jeunes et vieillard(e)s commencent méthodiquement, d’abord à Kigali, avant de s’étendre très rapidement à toutes les collines du Rwanda.
Un génocide dans la joie et la bonne humeur
En quelques 100 jours, jusqu’à la mi-juillet 1994, entre 500 000 et 1 millions de Tutsis seront systématiquement massacré(e)s au son des chants religieux et dans la joie collective des porteurs de machette. Sur le terrain, ces joyeux tueurs et « travailleurs » consciencieux sont encadrés par les Interahmawe, milices de jeunesse issues du parti présidentiel. Elles réunissent chaque matin les cultivateurs des villages, les comptent, les chauffent et distribuent les tâches. C’est qu’exterminer est un « travail » ; on « défriche », on « coupe », et on rentre à la maison avant la nuit tombée pour fêter dans la joie la tâche du jour bien accomplie.
Comment en est-on arrivé là ?
Une chronologie
« Les Bahutu : définis comme des Bantu agriculteurs et pasteurs. Une longue cohabitation avec des populations de “ stock hamite ” pourrait expliquer la fréquence de caractères anthropologiques nonnégroïdes comme le nez haut et étroit. – Les Batutsi, qui constituent environ un tiers de la population, auraient pénétré le pays il y a quelques siècles et dirigé depuis, « dominant les Bahutu par leur intelligence et par leur prestige physique et en utilisant peu la force. Grands (1,76 m en moyenne), minces avec de longues jambes, une longue face, un nez haut et étroit, (indice nasal moyen : 70), ils diffèrent beaucoup des Nègres en dépit de la couleur de leur peau et de leurs cheveux laineux« . Jean Hiernaux, anthropoloque, 1952
1885 : A la conférence de Berlin, le Rwanda revient à l’Allemagne.1900 : Les Pères blancs fondent leur première mission
- Instauration des quotas limitant l’accès de Tutsis à l’éducation et à l’emploi public.
- Nouvelle offensive des Tutsis de l’extérieur. Au Rwanda, de nouvelles vagues de persécutions anti-Tutsis sont déclenchées. Juvenal Habyarimana reproche à Kayibanda de menacer l’unité nationale. En juillet, il s’empare du pouvoir à l’issue d’un coup d’État militaire et dissout le Parmehutu. Il promet unité et réconciliation. De fait il n’y aura plus de massacres de tutsis pendant 15 ans.
- Les Interahamwe, à l’origine, en 1987, mouvement de jeunesse du MNRD, se transforment en milice. Leur nom signifie “ceux qui attaquent ensemble”. Ces milices sont entraînées et armées par l’État, voire par la France en la personne du Détachement d’Assistance Militaire et d’Instruction (DAMI).
- Les États-majors de l’armée reçoivent l’ordre de constituer des listes d’ennemis et de complices (entendre les tutsis et les hutus modérés.)
- 8 février : nouvelle offensive du FPR
- Avril : création de la Radio Télévision des Milles Collines (RTLM)
- 4 août : signature des seconds accords d’Arusha qui ouvrent le champs à des négociations pour un partage du pouvoir entre le FPR et le MNRD. Ces accords ne satisfont pas le colonel Théodore Bagosora qui claque la porte en s’exclamant qu’il rentre à Kigali « pour préparer l’Apocalypse« .

- 21 octobre : au Burundi, assassinat du président hutu Ndadaye.
- Décembre : après plus de trois ans de présence, les troupes françaises de l’opération Noroît (600 militaires) quittent le Rwanda et laissent la place à la MINUAR.

La société rwandaise… avant
Tu deviens tutsi, je deviens hutu…
La distinction hutu, tutsi et twa a toujours existé dans la société rwandaise. Mais elle n’avait aucune signification « ethnique ». Etre tutsi ou hutu faisait partie du bwoko. C’est un mot difficile à traduire qui désigne peu ou prou une identité sociale. Quelque chose comme un rang ou un ordre (au sens de « différentes classes subordonnées entre elles qui composent un État ») : on était tusti ou hutu comme on était professeur ou agriculteur, ou comme on était du sud ou du nord. Ces catégories n’étaient pas figées. Une personne jusque là hutu pouvait devenir tutsi, par mariage, par filiation, ou encore changement de position sociale. Et inversement. C’est ainsi que, comme un berger peut devenir éleveur (dans l’absolu), un hutu pouvait devenir tutsi. Tout le monde parlait le kinyarwanda et une même culture rassemblait le Rwanda.C’était quand même pas le paradis
On ne passera pas sous silence que le mwami, le roi, était Tutsi, qu’il régnait en maître sur des petits royaumes hutus. La société rwandaise n’était pas forcément pacifique, les conflits de lignage, les vols de bétails, les velléités de conquêtes territoriales ou des différends fonciers pouvaient donner lieu à des meurtres et des guerres. Elle était également inégalitaire : aristocratie, propriétaires fonciers et éleveurs (généralement tutsis), commerçants, cultivateurs, serviteurs et enfin, les journaliers, pauvres parmi les pauvres.Le système économique était réglé par l’ubuhake, une relation non monétaire. C’est un contrat par lequel un éleveur tutsi (shebuja = patron, chef) prêtait une vache à un cultivateur tutsi (umugaragu = client). Le client est évidemment tenu à un nombre certain et très codifié d’obligations vis à vis de son patron mais peut vendre le lait, le beurre, la viande et les peaux de la vache. Le patron est lui aussi soumis à des obligations envers son client. Les Tutsis le décrivirent ensuite comme un système de bail non-coercitif, d’autant plus que, selon eux, le client, montant dans l’échelle sociale, pouvait un jour devenir tutsi. Les hutus quant à eux, le présentèrent comme un système esclavagiste. Ce système profitait seulement au propriétaire qui pouvait reprendre sa vache quand il le souhaitait et vivait ainsi du travail de son obligé.

La « théorie hamitique »
Heureusement il y a la bible !
En 1900, les Pères blancs débarquent au Rwanda avec leur élan missionnaire et les canons de l’historiographie européenne. Celle-ci est alors dominée par une vision où les populations sont le sédiment des invasions successives de peuples ou « ethnies ». Les historiens et autres anthropologues sont imprégnés de l’historiographie et racialiste inspirée par Gobineau et Paul Broca. Ils notent que la société est dominée par les Tutsis, élancés, fins et à la peau caramel.Comment un être aussi délicat et « naturellement » dominant pourrait-il être noir ? Et bien tout simplement parce que ce n’est pas … un noir ! Toujours à l’aide des théories racialistes, on tire par les cheveux une ethnie « hamite » (du nom Cham). Qui est Cham ? Dans la bible il est le fils d’Abraham. Bon là, on s’accroche car les histoires de famille sont toujours un peu compliquées. Surtout quand elles sont revues et corrigée par la religion. Donc, toujours dans la Bible, il est dit qu’Abraham, suite un épisode éthylique, bannit Canaan, fils de Cham, et donc son propre petit-fils.Ce petit fils maudit et sa descendance sont condamnés par l’aïeul à devenir esclaves. Canaan se serait exilé. Il est désigné par l’exégèse chrétienne comme le premier des noirs (ben oui, il avait tellement honte qu’il est devenu tout noir sur le coup)…
Un lignage providentiel
On passera rapidement sur le fait que cela a justifié l’esclavage pendant des siècles. Mais – parce qu’il y a un mais – Abraham n’avait pas banni le père de son petit-fils, à savoir Cham son fils. Tout le monde suit ? Cham lui-même n’est donc pas tout à fait maudit. Et bien tant mieux, on va en faire le père des peuples à la peau caramel comme les égyptiens, et les… tutsis, sorte de cousins des blancs. Ceux-ci seront donc les descendants de tribus hamites.« Ces seigneurs bouviers… d’où viennent-ils ? Quand on arrive de la Haute Égypte ou des plateaux d’Abyssinie au Ruanda, on les reconnaît de suite. On les a déjà vus ces hommes de haute taille, atteignant la moyenne de 1, 79 m […], minces de corps, aux membres longs et grêles, réguliers de traits, de port noble, graves et hautains… Ils ont le type caucasique et tiennent du sémite de l’Asie antérieure […] Avant d’être ainsi nigritisés ces hommes étaient bronzés. Les Grecs, qui les avaient […] rencontrés sur le littoral méditerranéen, à Jérusalem comme à Alexandrie, avaient été frappés de leur teint foncé et les avaient appelés « Visages-Brûlés »-Aethiops… Les Arabes traduisirent dans leur langue « éthiopien » par « hamite », mot qui signifie « brun-rougeâtre » [sic]. »Chanoine Louis de Lacger, Ruanda, 1939-1940.
Ouf, les tutsis sont de « faux nègres » ! Les « autres », hutus et twa quant à eux le sont bien, et qui en douterait en voyant leur faciès et leur morphologie.
Paix, amour… et conversion
La noble et élancée « ethnie » tutsi domine la société rwandaise à majorité Hutu. Bon sang mais c’est bien sûr, comme les francs ont immédiatement, de par leur noblesse naturelle, dominé les gaulois lorsqu’ils ont envahi ce territoire de rustres !« À partir du XVIe siècle, s’y développe le mythe d’une origine franque de la noblesse française. Ce mythe présente les roturiers comme les descendants des Gaulois ou des Gallo-Romains et les nobles comme les descendants des Francs venus de Franconie, en Germanie. Il y aurait donc eu deux races en France dont l’une aurait conquis l’autre et détiendrait des privilèges […] Hutu et Tutsi furent ainsi pensés comme l’équivalent des Gaulois et des Francs de l’histoire de France. » Dominique Franche, Généalogie du génocide rwandais.C’est ainsi que se forge le mythe…On retiendra que le Tutsi devient l’étranger civilisé et le Hutu l’indigène pauvre. En même temps, petit détail qui ne sera pas sans conséquence, l’église note que pour avoir ainsi conquis le pouvoir sur une majorité bantou (twa et hutus), il faut bien être un peu fourbe…Cette théorie profite au colonisateur belge. En 1931 l’administration met en place la carte d’identité avec mention des
Une société traditionnelle « remastérisée »
En 1931, quand Mutura III Rudahigwa, monte sur le trône, il est l’étoile morte qui brille au firmament d’un Rwanda fantasmé par l’Église et les autorités. L’Église, qui a « réussi son coup » puisque si le père, Musinga, ne s’était pas encore converti au christianisme, son fils, Rudahigwa, a sauté le pas. L’esprit de conversion ruisselle alors sur la population tutsi ; c’est le moment de « la tornade du Saint-Esprit ». En 1943, au moment où Mutura III Rudahigwa est baptisé, l’Église est devenue l’institution la plus puissante du pays. Pendant ce temps, dans le monde réel, l’élite tutsi à majorité catholique accède à la direction des administrations locales et du système contractuel économique, un néo-ubuhake. De l’ubuhake pré-colonial à celui-ci, l’administration belge a transformé une structure de subordination collective non monétaire en une relation de subordination individuelle monétisée. Ce néo-ubuhake atomise et dynamite la société rwandaise en même temps qu’elle la rigidifie. Les belges ont réussi à s’appuyer sur les traditions tout en les vidant totalement de leur substance. Et même en les subvertissant dangereusement. Autant jouer avec le feu…Une hiérarchie intériorisée
A l’école des blancs
Dans les années 1930, l’éducation est entièrement dévolue aux missionnaires. Dès lors, les futures élites tutsis sont scolarisées dans les écoles et instituts spéciaux qui, en 1929, totalisent 960 écoliers tutsis instruits pour devenir instituteurs, agronomes, vétérinaires, interprètes, chefs et sous-chefs, tous auxiliaires du gouvernement belge. Ils apprennent également le français.« Actuellement, si nous voulons prendre le point de vue pratique et l’intérêt vrai du pays, avec la jeunesse mututsi nous avons un élément incomparable de progrès que tous ceux qui connaissent le Rwanda reconnaissent, je crois (…). Mieux que le muhutu, le mututsi aura toujours plus d’influence sur des compatriotes batutsi et bahutu ; plus que tout autre, son autorité sera vite et bien acceptée de tous les batutsi et bahutu. Demandez aux Bahutu s’ils préfèrent être conduits par les bahutu ou par les batutsi : la réponse n’est pas incertaine, leur préférence va droit aux Batutsi et pour cause ! Chefs nés, ils ont le tact, le savoir faire, le sens de commandement ; leur autorité s’impose sans grand bruits ni grands coups. » Lettre de Mgr Classe à Mr Mortehan, Kabgayi, 12 septembre 1927.
La bascule
La montée des élites Hutus
Le 24 mars 1957, des Hutus venus de l’élite instruite remettent un rapport au vice-gouverneur général belge. Il a pour titre « Note sur l’aspect social du problème racial indigène au Ruanda ». On l’appellera aussi Le manifeste des Bahutus.
La double colonisation
En ces temps de décolonisation, le Manifeste entend se débarrasser de la tutelle belge. Mais il faut d’abord pour cela s’extraire de la colonisation tutsi. Celle-ci serait pire que la colonisation européenne parce qu’elle en est le bras armé, la courroie de transmission, le canal de domination. Rappelons en effet que les tutsis sont censés être des faux nègres hamites venus envahir et asservir les populations bantoues autochtones. Dans le manifeste, les hutus dénoncent donc « une colonisation à deux étages » et entendent bien récupérer « leur » pays.
Un racisme institutionnalisé
En octobre 1959, Kaybanda crée le Parmehutu. Dès lors, les partis Tutsis embrayent également le pas sur la race, devenue le véritable point de polarisation politique. À force de meeting et de harangues durant l’été 1959, la situation explose le 1er novembre lors de ce qu’on appellera « la Toussaint rwandaise ». Une déferlante de haine et de violences s’abat sur les Tutsis. En une semaine, l’onde partie de Ndiza (pays de Kaybanda et du Parmehutu) s’étend sur tout le Rwanda. Elle laisse derrière elle destructions, incendies, pillages et familles terrorisées. Ce sera la première vague de massacres des tutsis, durant lesquels des centaines de milliers de tutsis s’exileront notamment au Burundi et en Ouganda. En juillet 1960, des élections communales sont organisées et soutenues par le pouvoir belge, en la personne du colonel Logiest, catholique et pro-Hutu. Logiest a d’abord pris soin de placer des hommes du Parmehutu aux postes administratifs à la place des fonctionnaires tutsis. Cela leur laisse une grande latitude pour préparer les élections. Celles-ci débouchent sans surprise sur la victoire du Parmehutu. Au même moment, Logiest appuie l’expulsion et la déportation de milliers de Tutsis vers la province du Bugesera, région marécageuse et inhospitalière. Cette opération vise officiellement à les soustraire aux violences de la population Hutu.
Renommer, exclure, déporter.
Une succession d’étapes, parfois concomitantes, précède en effet l’explosion génocidaire.- Dès 1959 et jusqu’en 1994, les tutsis vont d’abord être désignés par des termes qui les déshumanisent: ils sont des Inyenzi, des cafards qu’il faut « écraser »; il faut « défricher »comme on le fait avec « mauvaises herbes ». Jusqu’aux termes de « travail » et de « défrichage » utilisés par les génocidaires pour désigner leurs massacres quotidiens.
- Ensuite il faut les expulser et les déporter pour les regrouper (dans le Bugesera en l’occurrence).
- Il seront également exclus de la société et de l’administration par la mise en place de quotas et de numerus clausus à l’entrée des études supérieures. Ils seront victimes d’une ségrégation qui leur interdit le moindre commerce et la moindre relation avec des hutus.
La volte-face de l’Église
L’ascension au pouvoir des partis hutus bénéficie largement dès 1957 du soutien de l’Église. Celle-ci, à la faveur des revendications Hutus, a pu se souvenir de sa mission première qui était d’œuvrer pour la justice sociale… Elle a pu également voir le vent tourner et vouloir rester du côté du pouvoir de demain. Mais, cette période de guerre froide, elle a pu également imaginer avec frayeur le communisme aux portes du Rwanda.
De la guerre au génocide
La guerre contre le FPR
On ne peut pas comprendre complètement comment le génocide est devenu « nécessaire » aux yeux du pouvoir sans évoquer le contexte de la guerre menée contre le FPR. Il a été fondé au Burundi, entre autres par Paul Kagame, futur président du Rwanda. Il est majoritairement composé de la diaspora tutsie exilée suite aux massacres de 1959, 1963 et 1973.


La « cinquième colonne »…


Les médias de la haine
RTLM, « Surveillez vos voisins »
L’ennemi est partout pour les Hutus. Cette vision sera largement attisée, dès sa création en 1993, par la funeste Radio-Télévision des Milles Collines. Dès l’automne de cette même année, de longues listes de Tutsi sont livrées en direct à la vindicte populaire. Et RTLM est le média de millions de rwandais. Tutsis et hutus l’écoutent en permanence car la radio est même le seul média capable d’atteindre tous les rwandais. Habyarimana est actionnaire de RTLM et Félicien Kabuga en est le fondateur. (Ce dernier est actuellement jugé à La Haye, accusé » de génocide, d’incitation directe et publique à commettre le génocide, d’entente en vue de commettre le génocide, et de persécutions pour des raisons politiques, d’extermination et d’assassinat, constitutifs de crimes contre l’humanité « .) Voici un extrait édifiant d’une émission de RTLM :Avant et pendant le génocide, la population des différentes régions reçoivent en nombre des postes radio, meilleur moyen de se donner du cœur à l’ouvrage et de l’ardeur à la tâche.Kangura
Ce titre, qui signifie « Réveille ! « , est adressé aux hutus. Il est celui d’une revue fondée en 1990. Tout au long de de son existence, son but est de faire vivre la population Hutu dans un monde parallèle (on dirait aujourd’hui que c’est une entreprise de désinformation systématique). Dans ce monde, le Tutsi en guerre menace les Hutus et doit être étroitement surveillé. Même la réalité est une illusion car les Tutsis contrôlent déjà de nouveau la société. Il faut les débusquer jusque derrière des papiers falsifiés par lesquels ils se font passer pour Hutus. C’est un peu le « ils sont partout » déjà de sinistre mémoire. En 1990, soit 2 mois après le début de la guerre, le numéro 6 de Kangura publie « Les 10 commandements du hutu », texte d’un racisme incroyable qui parachève la ségrégation.

Être hutu en 1994
Il faut donc s’imaginer le vécu intérieur d’un hutu du peuple ou des villages en 1994. C’est être hanté par le retour à la domination coloniale par un peuple étranger et arrogant qui a humilié ses ancêtres en les maintenant dans un état de servitude. C’est perdre les parcelles où il cultive ce qui le fait vivre. C’est sentir que cette échéance est proche, voire est déjà là. Déjà là parce que le FPR arrive et qu’il dispose d’émissaires fondus et cachés en tout tutsi, en plus pernicieusement, en toute femme tutsi et jusqu’à ses enfants. Ces émissaires ont ourdi un complot visant à l’extermination des hutus et prêt à se déclencher du jour au lendemain. Dès lors et par conséquent tout tutsi, y compris ses avoisinants et avoisinantes sont une menace pour sa survie. Le hutu est terrorisé parce que ses futurs tueurs sont dans son village, parmi ses proches.« La petite maison » ou le cercle restreint de l’horreur
Habyarimana ne peut, au moins ignorer les torrents de haine déversés par la RTLM, sinon les téléguider. Il ne peut ignorer non plus qu’il est dépassé par sa droite avec le Hutu Power et Kangura. Habyarimana et son entourage proche, l’Akazu, le petit cercle d’Agathe Kanziga, épouse du président. L’Akazu compte parmi ses rangs le sinistre Théodeste Bagosora, alors directeur de cabinet du ministère de la Défense et, accessoirement idéologue du Hutu Power, les militants les plus radicaux de la lutte contre « l’ennemi héréditaire ».
Dès le 7 avril, le Hutu Power en embuscade.
Tout est prêt. L’attentat contre Juvénal Habyarimana est l’étincelle qui enflamme l’allumette. La mèche est la longue chaine de l’administration, l’armée et les milices, de leurs chefs jusqu’aux petits représentants des villages. Quand l’allumette touche la mèche, l’explosion arrive très vite. RTML sera le souffle qui entretiendra l’incendie durant 3 mois dans l’oreille des petites mains. Le 7 avril au soir, un gouvernement de transition est constitué. Il réunit a priori des représentants de tous les partis d’opposition et du MNRD. Mais tous ces représentants sont choisis dans l’aile la plus radicale et sympathisante du Hutu Power de chacun des partis, tous favorable à « la solution finale ». A Kigali, le génocide a déjà commencé par un massacre visant les ministres et politiques modérés ou même toute personne un peu trop habillée pour n’être pas de la nomenclature. Puis le vent souffle et l’incendie gagne sa cible : les tutsis du Rwanda.Un décompte difficile
A la mi-juillet 1994, environ 800 000 Tustis (500 000 estimation basse/ 1 millions estimation haute) auront été exterminés.

Réconciliation … et pardon ?
A partir de juillet 1996, les Hutus commencent à rentrer au Rwanda (60 000 dès juillet). En 2003, le gouvernement lance une première vague de libération des prisonniers hutus, pour la plupart de grands tueurs jugés pour leur participation au génocide. Dans le cadre de la politique de réconciliation, ils continuent de comparaître devant les gaçaça, tribunaux locaux traditionnels. Aujourd’hui, la plupart des Hutus sont revenus sur leurs parcelles, sur leur colline, sur les lieux où ils avaient massacré avoisinants et familles. Les Tutsis exilés depuis les vagues de massacres (le premier en 1959) sont également revenus. Génocidaires et survivants doivent cohabiter dans le cadre de la vigoureuse politique de réconciliation mise en place par l’État.« … dans nos causeries intimes, le mot “pardon” est étranger, je veux dire, contraignant. Par exemple, tu vois revenir Adalbert, il a commandé les tueries sur Kibungo, il a été gracié, il parade à Kigali, il retrouve sa machette sur sa parcelle. Toi, tu es de Kibungo, à cinq cents mètres de chez lui, tu as perdu le papa, la maman, deux sœurs, l’épouse et le garçonnet. Tu croises Adalbert au centre, lui à toi, toi à lui : qui va prononcer le mot pardon ? C’est surnaturel. Au fond, le temps nous oblige à tout avaler. » Innocent Rwililiza, paroles recueillies par Jean Hatzfeld, La stratégie des Antilopes, 2007.Conclusion
La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de l’ONU définit ainsi le génocide :« le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :- Meurtre de membres du groupe ;
- Atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
- Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
- Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
- Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.