06 août 2014 | Temps de lecture : 19 minutes

« Front National »/ »Rassemblement National »: le « bon vieux temps » de la colonisation

La nostalgie coloniale du RN

Il n’aura échappé à personne que le tout nouveau Rassemblement National tient un discours nostalgique de la colonisation sous couvert de refuser toute repentance. Reprenons les choses dans l’ordre.

Suite à un discours de Hollande à Alger en décembre 2012, voici ce qu’à déclaré Marion Anne Perinne Le Pen (oui les Debunkers appellent cette personne par ses vrais prénoms):

« Si François Hollande se défend de tomber dans la repentance, c’était pourtant l’exacte tonalité de son discours », qui « a revisité l’histoire dans le sens d’une violente charge contre la France »

« Rien sur les aspects positifs de la colonisation, rien non plus sur les crimes algériens contre les harkis, mais une nouvelle dépréciation systématique de notre pays, de notre histoire et de notre peuple. »

Marion anne perrine le pen-20/12/2012

Cet article a été rédigé en août 2014. A années plus tard, la colonisation de l’Algérie est toujours dans l’ADN du Rassemblement national, malgré son changement de nom et la pseudo dédiabolisation.

L’ADN du Rassemblement National

Alors oui parlons-en des aspects positifs de la colonisation!

« Ici on noie les Algériens« 

 

 

 

1) Une conquête calculée et excusée par le Rassemblement National sous de fallacieuses excuses

On trouve souvent chez les fronteux une explication simpliste de l’expédition d’Alger. Les barbaresques pratiquant le pillage, la France aurait voulu stopper ce pillage et l’esclavage qui en résultait. En fait l’affaire est encore plus simple et complexe à la fois. Une interprétation commode de la colonisation pour le Rassemblement National qui préserve les apparences.

Les dettes de la France

En 1800, lors de la campagne d’Égypte de Bonaparte, deux négociants algériens, Busnach et Bacri, proposent au Directoire de ravitailler en blé l’armée française. Le contrat est signé et le dey d’Alger avance l’argent pour toute l’opération. Les caisses du Directoire sont vides et le paiement est ajourné. Une fois au pouvoir, Napoléon repousse à la fin de la guerre le paiement de ses créances. Sous la Restauration, le gouvernement de Louis XVIII rembourse la moitié de la somme, l’autre partie étant bloquée dans le cadre d’un arbitrage juridique. Trente ans après l’emprunt, en 1830, le dey d’Alger n’a toujours pas été payé.

L’incident diplomatique « L’affaire de l’éventail »

Recevant le 30 avril 1827 en audience le consul de France Pierre Deval (consul), le dey lui demande la réponse du roi de France à trois lettres « amicales » qu’il lui avait écrites. Le consul lui répondant que le roi ne peut lui répondre, et ajoutant, aux dires du dey, « des paroles outrageantes pour la religion musulmane » (que le dey ne précise pas), celui-ci le frappe « deux ou trois fois de légers coups de chasse-mouche ». Il n’y eut donc jamais de soufflet ou de coup d’éventail, mais un prétexte tout trouvé pour créer un incident diplomatique qui sera exploité par la diplomatie française. Le dey refusant de présenter ses excuses, l’affaire est considérée par la France comme un casus belli entraînant l’envoi d’une escadre pour opérer le blocus du port d’Alger. L’escalade diplomatique conduira à l’expédition d’Alger.

Affaire du bombardement du bâtiment La Provence (1829)

La Provence devant Alger, le 3 août 1829. Le bombardement du navire royal par les Ottomans est le casus belli de la prise d’Alger.

Si l’Affaire de l’éventail est une première provocation qui a pour conséquence le blocus maritime d’Alger en 1827, c’est une seconde provocation en 1829 alors que la France lève le blocus et tente de négocier qui provoque la conquête d’Alger.

Le bâtiment de la marine royale française La Provence monté par l’amiral de la Bretonnière, commandant les forces navales du roi dans ces parages, et battant pavillon parlementaire arrive dans la rade d’Alger le 30 juillet 1829 précédé du brick l’Alerte. Le 3 août 1829, les négociations entre les parlementaires et le dey d’Alger échouent, la Bretonnière quitte le port quand son navire est bombardé par les batteries d’Alger. L’amiral ne riposta pas par égard à son pavillon, « une seule bordée aurait compromis sans gloire son caractère de parlementaire »9, ce qui aurait provoqué la solidarité du capitaine britannique Quin commandant la corvette Le Pilorus s’écriant « Don’t fire, my boys, keep up close to the wind! » (« Ne faites pas feu, mes enfants, serrez le vent! »). Mais l’insulte faite à la France constitua un échelon supplémentaire vers l’opération de représailles terrestres qui eut lieu en 1830 avec le débarquement de Sidi-Ferruch.

La même année, le turcologue et secrétaire-interprète du roi Thomas Xavier Bianchi conclut sa Relation de l’arrivée dans la Rade d’Alger du vaisseau de S.M. La Provence et Détails précis de l’insulte faite au pavillon du roi par les algériens, le 3 août 1829 par:

« Si, depuis longtemps, la cause de l’humanité, celle de la civilisation et l’honneur de la France réclamaient impérieusement l’exécution de la grande entreprise qui vient d’être confiée à la bravoure de notre année, c’était surtout à ceux qui comme nous furent les témoins et presque les victimes de l’insulte faite au pavillon du roi dans des parages ennemis, qu’il appartenait de faire des vœux ardents pour le succès de notre expédition. Mais après avoir vu et admiré la fécondité et les immenses ressources de la plus belle partie de l’Afrique septentrionale, nos désirs les plus chers seraient remplis, si, pour prix du sang de ses braves et des sacrifices qu’elle s’impose, la France pouvait un jour s’ouvrir dans ces contrées un long avenir de gloire, de richesse et de prospérité. »

Le 3 juillet 1830, La Provence navire amiral de l’escadre de l’Amiral Duperré participe au bombardement d’Alger en support des troupes débarquées. Le 14 juillet 1830, un mois après le débarquement victorieux de Sidi-Ferruch et neuf jours après la prise d’Alger, La Provence est rebaptisée Alger.

Les débuts de la colonisation

Vers 1870, fût organisée une expropriation massives des biens immobiliers des tribus et leur distribution à des colons venus d’un peu de partout. Le gouvernement d’Alger encouragea une colonie de peuplement. Des Italiens, des Anglo-Maltais, des Espagnols, des Sardes, des Siciliens, des Alsaciens, des Lorrains, des Calabrais et des Napolitains vinrent tenter leur chance dans ce pays qu’on leur présentait comme un nouveau paradis.

Les réactions en France

La victoire n’est pas accueillie avec un grand enthousiasme par les Français, et elle ne permet pas de redonner confiance dans le régime de Charles X, renversé au même mois de juillet 1830. Après quelques tergiversations, Louis-Philippe décide de maintenir la présence française en Algérie, où son administration doit bientôt faire face à toute une série de révoltes des tribus arabes, bientôt fédérées par l’émir Abd el-Kader. Celui-ci finit par être vaincu par le général Bugeaud, qui mène, à la suite du général Lamoricière, une campagne de razzias systématique [Victor Hugo face à la conquête de l’Algérie, Franck Laurent, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001]

« Il ne s’agit pas là d’excès ponctuels,  mais d’une stratégie visant à ruiner l’économie indigène afin de saper les fondements mêmes de la puissance d’Abd el-Kader, et de ses successeurs éventuels.» (p. 128),

[…]

« …ponctuée par des destructions de récoltes, des villages pillés et brûlés, des massacres de population (notamment les « enfumades » des villageois réfugiés dans des grottes), etc. Pour autant, durant toute la période du Second Empire, la région sera l’objet de soulèvements sporadiques contre l’envahisseur, notamment en Kabylie. Ce n’est qu’en 1871 que l’Algérie est finalement « pacifiée », après une dernière campagne de régression visant « à obtenir un effet de terreur destiné à dompter définitivement les indigènes, mais aussi à procurer terres et argent à la colonisation. »[Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, cité par F. Laurent, p. 129]

Les populations arabo-berbères paient un lourd tribut lors de cette conquête:

Plusieurs centaines de milliers de morts du fait des combats, des raids de représailles, et surtout des famines, notamment celles planifiées par les autorités militaires. Le reste de la population est considérablement appauvri et les structures sociales sont en ruine. Le pays est sous administration militaire, et ce sont les lois militaires (qu’on appelle alors le « régime du sabre ») qui sont en vigueur.

Les raisons « véritables »

  • Accès facile à l’Afrique
  • Pillage des ressources vivrières
    Développement de la culture du coton
    On comprends mieux à la lecture de cet article la construction des chemins de fer (que l’on cite souvent comme un des aspects « positifs de la Colonisation ») qui n’étaient pas là pour servir le peuple, mais les intérêts commerciaux. Puis développement de la culture de la vigne et d’autres cultures comme l’amandier, bananier ou dattier. Agriculture des bovins, ovins (laine), chevaux, mais aussi corail, cuir et fourrures. Exploitation des bois, chênes, frênes, olivier (+huile d’olive) et bois d’ameublements en général.
    On peut estimer qu’en 1919, les musulmans avaient perdu le contrôle d’environ 7 millions d’hectares de terres agricoles.
  • Pillage des ressources minières :
    Fer, cuivre, mercure et plomb, plâtre, argiles pour la fabrication des briques, marbres gris et marbres onyx, sel (sel gemme en abondance)
    (On notera que les prix payés pour ces ressources sont faussés par la métropole et que celui ci est donc sans commune mesure avec les prix réels métropolitains. Pour exemple, d’après les récents travaux de l’université d’Oxford, pendant la période coloniale, la production des colonies africaines de l’Empire britannique représentait moins d’un pour cent du PIB de l’Empire…)
  • Exploitation de la main d’œuvre autochtone par les colonisateurs qui nourriront le ressentiment envers les populations pieds noirs françaises.
  • Prétexte à démontrer le prestige militaire et international de la France :
    « Si jamais la France abandonne l’Algérie, il est évident qu’elle ne peut le faire qu’au moment où on la verra entreprendre de grandes choses en Europe. » (A. de Tocqueville, Travail sur l’Algérie, 1841), cité par F. Laurent, op. cit., p. 62]
  • Idéologie raciste de supériorité de la « race blanche » :
    «[…] il faut bien s’imaginer qu’un peuple puissant et civilisé comme le nôtre exerce par le seul fait de la supériorité de ses lumières une influence presque invincible sur de petites peuplades à peu près barbares ; et que, pour forcer celles-ci à s’incorporer à lui, il lui suffit de pouvoir établir des rapports durables avec elles. »Tocqueville cité par F. Laurent, op. cit., p. 43.]
    On lira utilement ces quelques pages qui montrent la mentalité de l’époque envers la colonisation.
  • Volonté d’unifier l’Europe par la révélation de l’unité de la civilisation qu’elle représente, et de mettre ainsi un terme à ses incessantes guerres intestines. Saint-Simon et son disciple Augustin Thierry écrivent ainsi que:
    « le plus sûr moyen de maintenir la paix de la confédération [européenne] sera de […] l’occuper sans relâche par de grands travaux extérieurs. »[Saint-Simon et Augustin Thierry, De la Réorganisation de la société européenne, ou de la nécessité et des moyens de rassembler les peuples de l’Europe en un seul corps politique en conservant à chacun son indépendance (1814), cité par F. Laurent, op. cit., p. 57.]
  • Résoudre la « question sociale », ce problème du prolétariat urbain dont les déplorables conditions d’existence (ainsi que les soulèvements, en juin 1848 et lors de l’établissement en 1871 de la Commune de Paris notamment) constituent l’un des problèmes récurrents auquel est confrontée la réflexion politique au XIXe siècle.
    Ainsi, affirme Victor Hugo, la colonisation permettra de résoudre cette grave et urgente question :

    • «  Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez ; et que, sur cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l’Esprit divin s’affirme par la paix et l’Esprit humain par la liberté! » [Victor Hugo, Actes et paroles. depuis l’exil. 1879. (II. Discours sur l’Afrique).]Je ne passerais pas sous silence les violences et brimades-tortures-infligées aux soldats de l’armée française afin de les rendre plus durs pendant cette conquête. Cf. F. Laurent, op. cit., p. 52.
    • L’opinion publique a été alertée notamment par un article de presse paru en 1845 (ibid.). La torture est « perpétrée en Algérie par l’armée française sur des soldats français ! »-[Victor Hugo F. Laurent, op. cit., p. 52.]

Le retour des « tigres » en France

Si comme on l’a vu l’armée n’a pas précisément apporté la civilisation en Algérie, Hugo et certains de ses contemporains s’aperçoivent vite qu’elle en ramène la barbarie. Les prémices de cette prise de conscience peuvent être datés de février 1848 lorsque, pour prévenir la révolution qui menace (et dont Hugo est pourtant loin d’être un fervent partisan), les généraux d’Algérie offrent de défendre la monarchie, dussent-ils mitrailler « cinquante mille femmes et enfants. »[Propos qu’aurait tenu le général Bugeaud à monsieur de Boissy, recueillis par Victor Hugo et cités par F. Laurent, op. cit., p. 72.] Celui qui à cette époque symbolise pour Hugo les craintes de l’importation en France des méthodes utilisées par l’armée en Algérie est le général Cavaignac, « le troupier africain », après qu’il a maté l’insurrection de juin 1848. La défaite de Cavaignac à l’élection présidentielle de décembre de la même année « ne soulagea que très provisoirement Hugo de ce sentiment de « menace africaine » », et « la conversion du poète à la République démocratique, en 1849-1850, accentua encore, s’il était possible, sa défiance à l’égard du césarisme plus ou moins diffus qui flottait alors sur la France»

Mais c’est avec le coup d’État du Deux-Décembre, et la répression militaire de la contre-insurrection que la menace apparaît au grand jour, notamment lors de l’épisode du « massacre des boulevards. » À cette occasion, Victor Hugo note dans Napoléon-le-petit (1852) que des sergents exhortaient leurs hommes à ne pas faire de quartier au cri de :

« Tapez sur les bédouins, ferme sur les bédouins ! »[Napoléon-le-petit, III, 6. cité par F. Laurent, op. cit., p. 83.]. Ces mêmes soldats qui, dans le poème « Cette nuit-là », sont qualifiés de « janissaires. »[« Sur les quais les soldats, dociles populaces, / Janissaires conduits par Reybell et Sauboul / Payés comme à Byzance, ivres comme à Stamboul / […] / vinrent, le régiment après le régiment, / Et le long des maisons ils passaient lentement / […] / Et la nuit était morne, et Paris sommeillait / Comme un aigle endormi pris sous un noir filet. » (Cité par F. Laurent, op. cit., p. 86).]

Le « transfert métaphorique », note Franck Laurent, est assez évident :

« ils sont analogues à ces soldats esclaves puisqu’ils nient leur citoyenneté jusqu’à aider à l’instauration du despotisme en France, dans sa variante moderne. Mais on peut lire cette image autrement, et surimprimer à ce transfert métaphorique une logique métonymique : si ces soldats français peuvent être des janissaires turcs, c’est aussi parce qu’effectivement ils ont pris leur place, en Algérie. »

2) Une extermination programmée

On estime que 1/3 de la population autochtone a disparu en 50 ans au XIX ème siècle en Algérie, due à la brutalité des colonisateurs (attestée par les écrits de l’époque)…

  • Selon Olivier Le Cour Grandmaison, la colonisation de l’Algérie se serait ainsi traduite par l’extermination du tiers de la population, dont les causes multiples (massacres, déportations, famines ou encore épidémies) seraient étroitement liées entre elles. [Coloniser Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial, Paris, Fayard, 2005]. Voir aussi l’ouvrage de l’historien américain Benjamin Claude Brower, A Desert named Peace. The Violence of France’s Empire in the Algerian Sahara, 1844-1902, New-York, Columbia University Press.
  • Les estimations contemporaines de la population algérienne avant la conquête française de 1830 oscillent entre 3 et 5 millions d’habitants. La population connaîtra un recul quasiment constant durant la période de conquête jusqu’à son étiage en 1872, ne retrouvant finalement un niveau de trois millions d’habitants qu’en 1890. On peut découper cette période de l’évolution démographique algérienne en trois phases. De 1830 à 1856, sa population tombe de 3 à moins de 2,5 millions. Elle remonte ensuite jusqu’à 2,7 millions en 1861 avant de connaître sa chute la plus brutale à 2,1 millions en 1871.

 

« nous faisons la guerre de façon beaucoup plus barbare que les Arabes eux-mêmes […] c’est quant à présent de leur côté que se situe la civilisation. »Alexis de Tocqueville. De la colonie en Algérie. 1847, Éditions Complexe, 1988

Officier durant la conquête de l’Algérie, le lieutenant-colonel de Montagnac écrit en 1843 :

« Toutes les populations qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées. Tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe: l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française a mis le pied. Qui veut la fin veut les moyens, quoiqu’en disent nos philanthropes. Tous les bons militaires que j’ai l’honneur de commander sont prévenus par moi-même que s’il leur arrive de m’amener un Arabe vivant, ils recevront une volée de coups de plat de sabre. […] Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger les bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs. En un mot, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens. » Lettres d’un soldat, Plon, Paris, 1885, réédité par Christian Destremeau, 1998, p. 153 ; Alain Ruscio, Y’a bon les colonies, Autrement n° 144, Oublier nos crimes, avril 1994, p. 41 (de Montagnac, Lettres d’un soldat, 1885) Cité in Marc Ferro, « La conquête de l’Algérie », in Le livre noir du colonialisme, Robert Laffont, p. 657.
La brutalité monstrueuse de la colonisation
«Nous tirons peu de coup de fusil, nous brûlons tous les douars, tous les villages, toutes les cahutes ; l’ennemi fuit partout en emmenant ses troupeaux »-Gal Bugeaud-Ibid, p. 657.

Les déportations massives : des tribus entières ont fait l’objet de déportations et de bannissement. Les grandes familles Maures (d’origine espagnole) de Tlemcen s’exilent en Orient (au Levant) tandis que d’autres émigrent ailleurs. Les tribus jugées trop turbulentes sont bannies et certaines se réfugient en Tunisie et au Maroc, voire en Syrie. D’autres tribus sont déportées en Nouvelle Calédonie ou en Guyane.

La crise démographique est telle que, dans une étude démographique de plus de trois cent pages sur l’Algérie, le Docteur René Ricoux, chef des travaux de la statistique démographique et médicale au bureau de statistique du gouvernement général de l’Algérie, prévoit tout simplement la disparition des « indigènes » algériens.(La démographie figurée de l’Algérie. Paris, Masson, 1880]. Le phénomène est interprété comme une conséquence des opérations militaires françaises mais aussi des conditions nouvelles imposées aux indigènes dont les caractéristiques les condamnent « à une lente mais inéluctable disparition ». Pour le professeur Ricoux comme pour nombre de ses contemporains des milieux scientifiques, une loi de la sélection naturelle voue les races les « plus faibles » à disparaître devant les races « supérieures ».

3) Pillage des ressources

  • Allocution à la Chambre des députés de Jules Ferry, Journal officiel, séance du 28 juillet 1885
« La première forme de colonisation, c’est celle qui offre un asile et du travail au surcroît de population des pays pauvres ou de ceux qui renferment
une population exubérante. Mais il y a une autre forme de colonisation, c’est celle qui s’adapte aux peuples qui ont, ou bien un excédent de capitaux, ou bien un excédent de produits. Et c’est là la forme moderne (…) Les colonies sont pour les pays riches un placement de capitaux des plus
avantageux (…) Mais, Messieurs, il y a un autre côté plus important de cette question, et qui domine de beaucoup celui auquel je viens de toucher. La question coloniale, c’est pour les pays voués par la nature même de leur industrie à une grande exportation, la question même des débouchés. Je dis que la politique coloniale de la France, que la politique d’expansion coloniale – celle qui nous a fait aller, sous l’Empire, à Saigon, en Cochinchine
(c’est-à-dire le sud de l’actuel Vietnam), celle qui nous conduit en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar – je dis que cette politique d’expansion coloniale s’est inspirée d’une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention, à savoir qu’une marine comme la
nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement (…). Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent ; ce n’est pas par le rayonnement pacifique des institutions. (…) Il faut que notre pays se mette à même de faire ce que font tous les autres et, puisque la politique d’expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l’heure qu’il est toutes les puissances européennes, il faut en prendre son parti. »
  • Eugène Etienne (sous-secrétaire d’État aux Colonies entre 1887 et 1892 et président du groupe colonial à la Chambre des députés en 1895) est nécessaire:
“pour assurer l’avenir de notre pays dans les nouveaux continents, pour y réserver un débouché à nos marchandises et y trouver des matières premières pour nos industries ».

4) Installation de bases militaires et essais atomiques

  • En avril 1947, le Centre d’Essais d’Engins Spéciaux (C.E.E.S.) est créé à Colomb-Béchar, il est renommé Centre Interarmées d’Essais d’Engins Spéciaux (C.I.E.E.S.) en 1948. Par la suite un second polygone est créé à 120 km à Hammaguir. Les deux bases sont évacuées en 1967.
  • La base de Reggane, située dans le Hoggar, héberge le Centre Saharien d’Expérimentations Militaires (C.S.E.M.). La première bombe atomique Gerboise bleue y explose le 13 février 1960. L’événement est filmé. C’est la première d’une série de tests atomiques atmosphériques. Le rapport annuel du CEA de 1960 montre l’existence d’une zone contaminée de 150 km de long environ. 210 tirs environ seront effectués.
  • La France doit abandonner les essais aériens à la faveur d’essais souterrains, moins polluants, anticipant la signature du Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires. Le site choisi, In Ecker (Sahara algérien), se trouve au sud de Reggane et à environ 150 km au nord de Tamanrasset. Les tirs sont réalisés en galeries, chacune étant creusée horizontalement dans un massif granitique du Hoggar, le Tan Afella. La bombe est placée au centre d’un colimaçon creusé en fin de galerie. Des sacs de sables comblent le bas et le haut de ce colimaçon. Leur rôle est d’exercer une compression lors de l’explosion afin d’assurer l’étanchéité. Les galeries sont fermées par une dalle de béton et doivent permettre théoriquement un bon confinement de la radioactivité. Les Américains surveillent ces essais en installant des stations sismiques en Libye. Le 7 novembre 1961, la France réalise son premier essai nucléaire souterrain. Mais le 1er mai 1962, lors du deuxième essai, un nuage radioactif s’échappe de la galerie de tir, la roche ayant été fragilisée lors du premier essai. C’est l’accident de Béryl.

5) Un refus d’une décolonisation pacifique malgré les promesses, la torture

L’Algérie bénéficie du statut de département et à ce titre fait partie intégrante du territoire français. Toutefois ses habitants ne peuvent jouir pleinement de leur citoyenneté que s’ils renoncent à leur statut civil de musulman en demandant une naturalisation. La majorité refuse cette naturalisation. C’est seulement à partir de 1919 que les musulmans peuvent voter, à condition toutefois qu’ils soient anciens combattants, propriétaires ou fonctionnaires.

L’entre deux guerres

Dans un article de la revue qu’il dirige (en 1936), « L’entente franco-musulmane », Ferhat Abbas se dit convaincu que l’avenir de l’Algérie est irrémédiablement lié à la France. La nation algérienne n’existe pas, c’est une chimère. Il fait ici référence au passé pré-colonial de l’Algérie. Avant la conquête entamée en 1830, il n’existe pas en effet d’Etat ou de nation algérienne. Le territoire de l’actuelle Algérie est en fait divisée en plusieurs États rivaux plus ou moins sous souveraineté ottomane (c’est-à-dire turque). C’est la colonisation française qui a donné ses frontières au territoire algérien. C’est pour cette raison que Ferhat Abbas considère alors que l’avenir des musulmans d’Algérie se trouve dans l’assimilation à la nation française.

L’échec du projet Blum-Viollette (1936), du nom du président du Conseil Léon Blum et de son ministre Maurice Viollette, démontre cependant que l’espoir de l’assimilation des musulmans d’Algérie est un leurre. Ce projet, fort mesuré au demeurant qui prévoyait de conférer la nationalité française pleine et entière à environ 25 000 musulmans d’Algérie, dut faire face à l’opposition violente des milieux coloniaux d’Algérie et de leurs députés du palais Bourbon.

Ferhat Abbas évolue dès lors vers un discours nationaliste qui milite pour l’indépendance de l’Algérie. L’indépendance, c’est également la revendication de l’Etoile nord-africaine, premier mouvement nationaliste algérien, créé en 1926 dans les milieux des travailleurs immigrés de France, par Messali Hadj. La France doit également faire face à une contestation croissante dans ses protectorats du Maroc et de Tunisie. Au Maroc, l’opposition vient du sultan Mohammed V et du parti politique nationaliste créé en 1943 par Allal el Fassi, l’Istiqlal. En Tunisie, le Néo-Destour créé par l’avocat Habib Bourguiba défend des positions encore plus virulentes contre la colonisation et doit faire face à une sévère répression.

Après la seconde guerre mondiale

C’est la Seconde Guerre mondiale qui ébranle définitivement les grands empires coloniaux. La défaite de la France face à l’Allemagne, l’occupation de l’Indochine par les Japonais dès 1940 et les défaites britanniques face à ces mêmes Japonais, notamment la chute de Singapour en 1942, détruisent chez les colonisés le prestige des colonisateurs et mettent fin au mythe de l’invincibilité de l’homme blanc. Par ailleurs, les deux puissances victorieuses de la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis et l’URSS défendent des positions anticolonialistes.

Dès 1941, dans la Charte de l’Atlantique, le président américain Fran-klin Delano Rossevelt impose à Winston Churchill la signature d’un texte dont l’article 3 déclare :

« Ils (Roosevelt et Churchill) respectent le droit des peuples à choisir la forme du gouvernement sous laquelle ils souhaitent vivre ; et ils souhaitent
voir le droit de souveraineté et l’autodétermination restauré à ceux qui en ont été privés par la force. « 

Churchill est contraint de signer ce texte en échange de la fourniture de matériel militaire destiné à combattre l’Allemagne nazie. Rencontrant le sultan du Maroc, Mohammed V à la conférence d’Anfa- Casablanca, en janvier 1943, le président Roosevelt en personne fit comprendre au sultan que les Etats-Unis pourraient éventuellement appuyer une indépendance du Maroc où les capitaux américains s’investiraient largement.

L’ONU (Organisation des Nations unies) créée à l’occasion de la conférence de San Francisco (avril-juin 1945) reprend à son compte l’anticolonialisme de Roosevelt et de Staline. La réésolution de l’ONU sur la décolonisation, 16 décembre 1952 stipule que les états membres de l’Organisation doivent reconnaître et favoriser la réalisation, en ce qui concerne les populations des territoires sous tutelle placés sous leur administration, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et doivent faciliter l’exercice de ce droit aux peuples de ces territoires, compte tenu des principes et de l’esprit de la charte des Nations Unies en ce qui concerne chaque territoire et de la volonté librement exprimée des populations intéressées, la volonté de la population étant déterminée par voie de plébiscite ou par d’autres moyens démocratiques, reconnus, de préférence sous l’égide des Nations unies.

Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata

Ce sont des répressions sanglantes d’émeutes nationalistes qui sont survenues en mai 1945 dans le département de Constantine, en Algérie française.

Elles débutent le 8 mai 1945. Pour fêter la fin des hostilités de la Seconde Guerre mondiale et la victoire des Alliés sur les forces de l’Axe, un défilé est organisé. Les partis nationalistes algériens, profitant de l’audience particulière donnée à cette journée, décident par des manifestations d’abord pacifiques de rappeler leurs revendications patriotiques. Mais à Sétif un policier tire sur un jeune scout musulman tenant un drapeau de l’Algérie et le tue, ce qui déclenche une émeute meurtrière des manifestants, avant que l’armée n’intervienne.

Il y aura parmi les Européens plus d’une centaine de morts et autant de blessés. Le nombre des victimes autochtones, difficile à établir, est encore sujet à débat en 2012. Les autorités françaises de l’époque fixèrent le nombre de tués à 1 165. Un rapport des services secrets américains à Alger en 1945 notait 17 000 morts et 20 000 blessés. Le gouvernement algérien avance le nombre de 45 000 morts. Suivant les historiens, le nombre varie de 8 000 (Charles-Robert Ageron, Charles-André Julien) à 15 000 victimes. Pour Antoine Benmebarek, l’administrateur chargé de la région de Sétif lors du massacre, il s’élèverait à 2 500 morts.

Commémorée chaque année en Algérie, elle « a servi de référence et de répétition générale à l’insurrection victorieuse de 1954 »Charles-Robert Ageron, « [Les Troubles du Nord Constantinois en mai 1945 : une tentative insurrectionnelle ? » dans Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n°4, octobre 1984, p. 112]. L’ambassadeur de France en Algérie, dans un discours officiel à Sétif en février 2005, a décrit cet événement comme une « tragédie inexcusable ».

  • Jusqu’en 1954, le calme semble être revenu pour l’essentiel, mais l’Algérie n’est ni l’objet de réformes politiques ni d’investissement pour sortir la population de sa pauvreté. En 1954, le pétrole n’a pas encore jailli du Sahara et l’essentiel des richesses sont agricoles ou minières. Le 1er novembre 1954, des bombes sautent dans plusieurs villes d’Algérie, tuant sept personnes, le mitraillage d’un autobus provoque la mort d’un couple d’instituteurs et de deux musulmans. C’est la « Toussaint rouge ».
  • L’action est revendiquée par un mouvement jusqu’alors inconnu, le F.L.N. (Front de libération nationale) notamment dirigé par Ahmed ben Bella. La réaction du gouvernement français est sans équivoque. Le Ministre de ’Intérieur, François Mitterrand déclare à cette occasion « L’Algérie c’est la France ». Quant au Président du Conseil, Pierre Mendès France qui venait de négocier le départ de la France de l’Indochine, l’indépendance du Maroc et de la Tunisie, il décide de donner un coup d’arrêt au processus d’indépendance en Afrique du Nord et prend la décision de renforcer les moyens militaires de la région.

Les raisons de l’intransigeance française

Depuis 1848, l’Algérie a été divisée en trois départements français et selon la fiction coloniale officielle, rien ne distinguait ces territoires de ceux de la métropole. Par ailleurs, c’est aussi et surtout la présence de l’importante minorité de pieds noirs, qui contribua à rendre le problème algérien insoluble. Ces pieds noirs, en partie d’origine française, en partie d’origine espagnole et italienne, en partie de confession israélite, depuis que la IIIe République avait décidé en vertu du décret Crémieux du 24 octobre 1870, de donner aux juifs d’Algérie la nationalité française estimaient avoir les mêmes droits sur cette terre que les musulmans.  Cette appellation de pieds noirs recouvre des populations de fermiers, d’ouvriers, de fonctionnaires, d’un niveau de vie le plus souvent modeste. Cette communauté comptait quelques très grandes fortunes installées dans le commerce, le secteur minier ou l’industrie. Incapable de réformer le système colonial, si tant est que cela fût possible, mais désireuse de ne pas abandonner les 900 000 pieds noirs d’Algérie (soit environ 10 % de la population du pays), la IVe République (1946-1958) s’est retrouvée au début de ce conflit dans une situation sans issue.

  • De Gaulle refusera l’idée de quitter l’Algérie sur une défaite militaire. Il fait le calcul, que se présenter à la table des négociations avec le FLN en position de force sur le terrain militaire forcera ses interlocuteurs à des concessions. Il met dans la balance, l’abandon à la France du droit d’exploitation de pétrole et du gaz que les compagnies françaises viennent de découvrir dans le Sahara. La guerre va donc encore se poursuivre jusqu’en 1962.
  • La torture en Algérie

CONCLUSION

La métropole recevra à la fin de la guerre d’Algérie en l’espace de quelques mois plus de 800 000 pieds noirs auxquels s’ajoutent environ 15 000 à 20 000 harkis et leurs familles, les autres, c’est-à-dire la majorité, ayant été abandonnés par la France à la vengeance du FLN (plusieurs dizaines de milliers de morts).

Le conflit coûta vraisemblablement la vie à 300 000 à 400 000 Algériens, 30 000 militaires français comptabilisés avec certitude, peut-être 90 000 harkis et environ 5 000 civils européens. L’Algérie va sortir de la guerre totalement exsangue. De nombreuses infrastructures ont été détruites, parfois par le FLN lui-même, et le pays a perdu l’essentiel de ses cadres (administrateurs, professeurs, médecins, tous d’origine européenne-du fait de l’organisation Coloniale même),tel a été le prix de son indépendance.

Tel a été le prix des « bienfaits de la colonisation »…

“A mon tour de poser une équation : colonisation = chosification. J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer. Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme.”

Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1950

Très loin donc de ce que dit le Rassemblement National sur les aspects positifs de la colonisation.

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