
Le principe de l’amplification
Pour bien comprendre de quoi on parle ici, nous allons reprendre quelques bases… en électronique. On imagine bien que tout le monde n’est pas ingénieur, et ça tombe bien, nous non plus. Donc, nous allons nous contenter des grands principes.Vous l’avez sûrement déjà constaté, si vous ouvrez n’importe quel appareil électronique, vous tomberez sur des cartes pleines de composants, des résistances, des condensateurs, des régulateurs et autres joyeusetés. Tout ceci n’est pas très utile ici. Nous allons nous concentrer sur un seul type de composant, l’ampli opérationnel.

Le principe
Alors tout ça est sûrement passionnant pour certains, barbant pour d’autres. Donc on fait quoi avec ce bidule ? Prenez une guitare électrique. Sans ampli, ça fait un discret kling klong qui ne dérange pas les voisins. Mais nous, on veut secouer la vieille dame qui habite à côté. Alors on va brancher cette guitare dans un ampli : un appareil électrique qui va traiter un signal faible, et grâce à la fée électricité (un courant d’alimentation), va permettre d’envoyer un signal fort dans un haut-parleur. À ce stade, la voisine peut appeler les flics.
- un signal entrant
- un signal sortant
- un courant d’alimentation
Plus c’est moderne, plus ça amplifie fort
Tout va dépendre du montage, du modèle, mais en clair, plus l’ampli opérationnel est moderne, plus son coefficient d’amplification est important. Et pour fonctionner, il a besoin d’un courant d’alimentation (en général quelques milliampères à une tension assez basse entre 3 et 12v, ce que fournit une pile par exemple). Et pour peu que l’on s’y prenne bien, on peut facilement obtenir un gain de 10 ou même 100 (et que se passe-t-il quand on met trop de gain ? On sature le son, ce qui est… admettons le, dans notre cas, est un petit peu ce que nous cherchons).
L’effet ampli
Ils sont bien gentils les DBK, mais quel est le rapport avec l’extrême droite ? Nous venons de voir le fonctionnement général d’un ampli. Maintenant, imaginez que nos médias agissent comme l’un de ces circuits intégrés :- un signal entrant : une info tombe, c’est la source.
- un courant d’alimentation : les experts, les commentateurs, les cadres des partis politiques rebondissent dessus.
- l’amplificateur : si le signal et le courant d’alimentation sont suffisants, l’amplificateur remplit son rôle
- un signal sortant : l’information est plus ou moins mise en avant, elle est amplifiée.

À un autre temps, les informations tombaient via un telex connecté aux agences de presse. Internet va tout chambouler, pour le meilleur et pour le pire. Le flux d’information va désormais reposer sur un équilibre fragile entre agences de presse et réseaux sociaux. Les premières délivrant des informations en général solides quand aux seconds, ils font souvent part à l’émotion et au spectaculaire.
C’est le passage aux chaînes d’info continue (CIC) qui va accélérer ce processus d’amplification. Les rédactions de presse écrite sont soumise à un temps plus long (celui de l’impression) et ont perdu en influence en même temps qu’en tirage. Les JT des grandes chaînes sont toujours des mètres étalons, mais ne sont plus le moteur du discours médiatique. Ces formes traditionnelles de médias sont moins poreuses à l’influence des agendas politiques et des experts, notamment pour des raisons de format.L’alimentation, la clé d’une amplification réussie
Il faut assez de courant pour que l’ampli fonctionne. En électronique, selon le montage choisi, on peut assurer un gain important. Ici, c’est un petit peu différent, le gain dépend de l’actualité, par nature imprévisible. Mais également, de l’agenda politique du moment. Voyons cela :- gain 0 : pas de courant, pas d’amplification.
- gain 1 : le signal sortant est identique au signal entrant, l’information est juste relayée.
- gain 10 : le signal entrant subit un gain de facteur 10, c’est la mise en avant d’un fait.
- gain 100 : le signal entrant subit un gain de facteur 100, le fait occupe tous les débats, c’est la saturation.
Qui a le rôle d’alimentation ?
Cette question n’est pas anodine. Le rôle des experts est largement mis en lumière depuis des années, et ne parlons pas de l’hyper-présence de l’extrême droite sur les plateaux TV. Justement, regardons ça. On retrouve donc dans ce rôle toute une galaxie d’intervenants :- L’extrême droite pour commencer. Dans les matinales, dans les émissions de débat, on retrouve très régulièrement des députés (n’oublions pas qu’ils en ont 88 maintenant), des portes paroles des deux partis d’extrême droite. Ajoutons Nicolas Dupont-Aignan, qui incarne un troisième parti, certes minoritaire, mais qui est régulièrement invité.
- Les syndicats policiers sont ne singularité du monde syndical. Linda Kebbab (Unité SGP), David Lebars (syndicat des commissaires de police), Rudy Manna (Alliance), Matthieu Valet (syndicat indépendant des commissaires), ces noms vous sont familiers ? C’est normal, on a très envie de croire qu’ils habitent sur les plateaux tv. Tous les jours, un syndicaliste policier intervient, peu importe le sujet.
- Les think tank Instituts de sondage, fondations diverses et variés, les think tank sont des laboratoires d’idées. Ils assurent des publications pour des syndicats (patronaux en général), des partis (de droite en général) et élaborent des argumentaires (libéraux en général). Ils ont en permanence quelqu’un à envoyer sur les plateaux tv, à l’image d’Agnès Verdier-Molinié ou Alain Bauer.
- Les intellectuels Un à deux livres par an, c’est le minimum syndical pour les intellectuels, et c’est l’occasion pour mêler promotion et réflexion politique. C’est la clé de la légitimité pour ceux qui produisent de la pensée politique. Revendiquant régulièrement un non-alignement dogmatique, ils écrivent pourtant les grandes lignes de l’hégémonie culturelle. On y a retrouve par exemple Michel Onfray ou Raphaël Enthoven.
- Les éditorialistes Un peu à part, puisque rémunérés par ces chaînes, les Christophe Barbier, Tugdual Denis, la famille Duhamel commentent l’actualité, souvent de façon improvisée. Les réactions sont en quasi temps réel, alors que la prétention des chaînes est de prendre de la hauteur avec des spécialistes de la politique.

Pourquoi ne pas parler de caisse de résonance ?
La caisse de résonance est un phénomène purement mécanique, comme une guitare acoustique. Les cordes vibrent et cette vibration est amplifiée « naturellement » par la caisse de la guitare.Sauf que nous sommes en 2023, et que ce phénomène simple ne permet pas de comprendre l’interdépendance entre tous les acteurs. L’expression est donc trompeuse dans le cas de notre analyse. L’analogie avec l’ampli opérationnel propose donc une approche qui permet de comprendre comment différents agendas coïncident parfois, créant une synergie, un effet conjugué des efforts de chacun pour leurs propres intérêts.La nature a horreur du vide, l’effet offset
Si l’ampli a besoin d’un courant pour fonctionner, il n’a pas nécessairement besoin d’un signal. Dans notre cas, un média ne va pas fermer par manque d’information. Un signal faible, proche de zéro, c’est un jour de calme, et on trouvera bien de la neige dans les Alpes ou un procès quelconque à traiter.Appliqué à cette parabole, on peut parler d’effet offset. Tant que le circuit est alimenté, même un signal nul est amplifié. En sono, c’est un bruit de fond, un souffle. Concrètement, sur le terrain qui nous intéresse, il s’agit d’une période creuse dans l’information, dans laquelle une information banale va prendre des proportions déraisonnables. Et ce, pour deux raisons :- L’information continue a besoin de spectaculaire. Son modèle repose sur des éditions spéciales, des dispositifs particuliers. L’exceptionnel est la norme. Il ne faut pas oublier que ces chaînes sont en concurrence les unes avec les autres.
- Le milieu politique ne peut se permettre de laisser passer un évènement. Ainsi se met en place une routine à chaque drame, attentat, fait divers, animal échappé du zoo : être le premier à réagir, mobiliser ses cadres sur les plateaux tv, emmener le débat sur son terrain.
étude de cas d’effet ampli
L’affaire Papy Voise
Le 18 avril 2002, Paul Voise, un paisible retraité orléanais est agressé chez lui. C’est violent et spectaculaire, et s’inscrit dans la ligne éditoriale caractéristique de TF1 à l’époque, et celle qui deviendra de plus en plus dominante les années suivantes : l’insécurité est partout. Le 20 avril, c’est le week-end électoral, les sujets politiques sont bannis des sommaires, l’affaire Papy Voise est gonflée. Le 21 avril, sidération et incrédulité, Jean-Marie Le Pen est au second tour des élections présidentielles.Le rapport entre cette affaire et l’élection n’est pas évident. Mais le cas Paul Voise s’inscrit dans un contexte où l’insécurité devient un sujet, alors quele candidat Lionel Jospin est persuadé de pouvoir l’emporter en misant sur ce sujet. C’est d’ailleurs pendant la cohabitation où Jospin est premier ministre que son ministre de l’intérieur Daniel vaillant va passer le premier « pack de loi sécuritaire » qui inspirera Nicolas Sarkozy, et qui deviendra la norme (avec notamment les LOPSI 1 & 2).Ce qu’on peut noter dans cette affaire, c’est surtout l’appel d’air du week-end électoral qui a servi d’amplificateur à un fait divers. En particulier dans un contexte où l’insécurité devient un sujet essentiel, même à gauche. Et pourtant, la seule CIC à l’époque est LCI et n’est accessible que pas les abonnés au câble ou au satellite.L’affaire Lola
Les faits divers sont nombreux à être médiatisé, faisons un bond dans le temps, et revenons à des temps plus récents. L’affaire Lola, c’est le meurtre atroce de la jeune fille de 12 ans le et dont le corps est retrouvé dans une malle. Quand l’affaire est médiatisée, la suspecte est déjà en garde à vue. Le 15 octobre est un jour calme, l’inflation commence à pointer le bout de son nez et la guerre en Ukraine patine (au sens propre comme au figuré), il y a donc un espace important pour amplifier l’affaire. Sauf que c’est le week-end, en règle général, pas le meilleur moment.Le 16 octobre, l’actualité autour de l’affaire Lola est surtout concentrée autour de la stupeur de ses proches et du quartier. On trouve malgré tout dans les archives une première occurrence pour la requête « Dahlia B OQTF » et le résultat pointe le site islamophobe Riposte Laïque. Cet article cite lui-même Fdesouche. On a donc déjà un frétillement de la fachosphère autour du fait que la suspecte est algérienne et n’a pas de titre de séjour. Mais à ce moment là de l’affaire, c’est la thèse du trafic d’organe qui anime les chaînes d’info continue.La récupération, clé de voute de l’effet ampli
En attendant un communiqué du procureur de la République, qui tombera le lundi soir, la fachosphère commence à s’exciter. Et le lundi matin, Samuel Lafont organise en urgence une communication autour de cette affaire, ce que nous avons raconté ici. S’en suit une manifestation le mardi soir, qui doit y aller, pas y aller. La famille implore de ne pas politiser le sujet, en vain. Nous avons un très bon exemple d’effet ampli ici où le courant d’alimentation est au maximum pour amplifier le signal, le rendant assourdissant à toute autre voix.
Bordeaux, une instrumentalisation ratée
Nous sommes le 19 juin 2023, à Bordeaux. Une grand-mère et sa petite fille sont agressées sur le pas de leur porte. L’agression est très violente (comme toujours, nous-direz-vous), tout est filmé par une caméra fixe. Le soir même, Nicolas Florian, ancien maire LR de la ville, diffuse ces images sur les réseaux sociaux.
Dés le lendemain, les réactions politiques fusent. Et l’insécurité, et l’immigration… l’extrême droite déroule son scénario bien rôdé. Et ce, malgré l’insistance de la famille. Le suspect, dont des sources policières ont balancé le nom et le CV, a été interpellé la veille. Il est rapidement interné en psychiatrie, il y a matière à une instrumentalisation pendant des semaines avec ça.
Sauf que non. L’expérience est intéressante : vous pouvez la faire vous-même, en cherchant « agression septuagénaire Bordeaux » (et en variant à l’envie les mots clé), il n’y a plus rien après le 22 juin. L’affaire retombe. Alors certes, elle a été résolue rapidement, mais ça n’est pas la seule raison : l’espace médiatique du 21 juin 2023 est occupé par deux autres actualités : l’explosion spectaculaire d’un immeuble à Paris … et les recherches du sous-marin Titan, dont on a suivi le funeste compte à rebours jusqu’à la dernière seconde.
L’affaire Nahel
Une semaine plus tard, le jeune Nahel est abattu à Nanterre par un policier. L’agression est filmée et publiée sur Twitter, 3 millions de vues ! Dés lors, l’affaire est médiatisée, tout le monde craint des émeutes dans le quartier, le ton est à l’appel au calme. Le soir même, la tension est palpable dans Nanterre, des feux d’artifices sont tirés sur la police, c’est une émeute finalement assez « classique » en ces circonstances. Le 28 juin, lendemain du drame, le gouvernement est à l’unisson. Curieusement, le président, si prompt à pratiquer le mépris social trouve cette fois-ci les mots justes. On se dirige vers un scenario bien rôdé, trois nuits d’émeutes et puis retour au calme.Sauf que les paroles du président ont ulcéré… les syndicats policiers vont se succéder sur les plateaux des CIC et occuper l’espace, très vite soutenus par les politiques d’extrême droite. Le drame arrive le mardi, les matinales de la semaine vont être l’autre baromètre du climat dans le pays. Le jeudi 29 juin, Jean Messiha crée une cagnotte sur Leetchi qui est supprimée dans la foulée. Le lendemain, il en lance une seconde qui dépassera le million d’euro de promesses de don le mardi suivant.Le traitement médiatique
Après l’affaire du sous-marin, il n’y avait plus d’actualité chaude à amplifier. La vidéo spectaculaire de meurtre du jeune Nahel est un produit médiatique idéal pour nourrir le monstre. Tout le monde s’engouffre dans la brèche, le timing est parfait : en pleine semaine, sans grosse actualité…Les conséquences de ce traitement médiatique c’est d’avoir effacé l’appel au calme des pouvoirs publics. Pendant ce temps là, le déroulé (hélas trop bien connu) des émeutes suites à une bavure sort des rails, la violence se répand partout. Le gouvernement change de ton dés le 28 juin, surenchérissant dans le nombre de policiers mobilisés. La tension monte vite et descend aussi vite. Début juillet, tout est terminé, le bilan est désastreux, deux morts, des centaines de blessés, des dégats gigantesques et des condamnations à n’en plus finir.Les CIC passeront une bonne partie du mois de juillet sur le sujet. Nous retiendrons ici que l’effet ampli a agit en deux temps : d’abord, avec la vidéo venue des réseaux sociaux, puis le lendemain, encore un gain suplémentaire avec le relais de la colère des syndicats policiers.Citons dans le même temps l’affaire Loana
Une lectrice a attiré notre attention sur cette affaire. Elle est sordide et se passe à Sedan. Le 17 octobre 2023, la jeune Loana, 12 ans, est portée disparue. L’enfant est retrouvée morte le lendemain, dans une cave en ayant avoir vécu les pires sévices. Le signal entrant ici laisse présager une amplification maximum, et pourtant, rien.Comment expliquer ça ? C’est très simple, le 7 octobre le Hamas attaque Israël et tue plus de 1000 personnes. Le monde a les yeux rivés sur la région. L’ampli est déjà saturé, l’affaire Loana qui présentait des caractéristiques séduisantes est en fait noyée dans le brouhaha autour des fausses alertes à la bombe au Louvres et dans les aéroports français, ainsi que les joutes internes au monde politique autour de cette situation.L’affaire Thomas, une technique affinée
Le 19 novembre 2023, lors d’un bal de village, une bagarre éclate. Le bilan est lourd, 17 blessés et un mort, Thomas P. Au soir dimanche 20, l’information est relayée, le lundi matin c’est l’objet des matinales, l’effet ampli a marché, c’est ce que nous vous expliquions là.