Un film parle toujours plus du contexte dans lequel il a été conçu que son sujet. C’est valable pour les films d’époque ou la science-fiction. Un film ou une série est un récit, à ce titre, ça raconte beaucoup de choses sur notre environnement, nos affects, nos désirs, nos angoisses.
Précisons tout de même que nous parlerons de ces objets cinématographiques sans donner d’avis sur l’aspect qualitatif (ou presque). Certaines de ces productions souffrent de quelques défauts, mais l’essentiel n’est pas là.Cet article est garanti sans spoiler/divulgâchage.
Les angoisses scandinaves en 4 séries
Ouvrons nous l’appétit avec ces séries qui nous viennent du nord. Pas de Lambersart, ni même de Charleroi… plus haut, dans les contrées froides qui ont offert au monde le gravlax, la trilogie Millenium, Ikea et une production délirante de groupes de métal. Nous arrivent de Scandinavie, ces quelques séries qui ont ce petit quelque chose de particulièrement signifiant.Occupied
Occupied est une série norvégienne dont la première saison date de 2015. Le synopsis est plutôt classique : la Norvège développe une énergie propre. La Russie envahit le pays, le reste de l’occident ne lève pas le petit doigt, refusant de voir s’écrouler l’équilibre du monde suite à cette révolution énergétique. La série traite de la vie sous l’occupation russe, scénarisée entre autre par Joe Nesbo, auteur de polars et créateur du personnage de Harry Hole.Si la série est la plus ancienne des trois, il est important de noter, le projet a une production sur le temps long : La première saison est diffusée en 2015,la seconde sort en 2018, la troisième en 2024. Il y a un véritable effet « avant/après » le 22 février 2022, date de début de l’offensive russe sur Kyiv.
Conflict
Conflict est une série finlandaise diffusée en 2024. Le synopsis est assez proche de la précédente. Un beau jour, une force militaire prend possession de la péninsule de Hanko au sud de la Finlande. Tout au long des six épisodes, nous allons suivre différents personnages dont des militaires qui organisent la riposte bon gré mal gré et des politiques qui tergiversent.
Un personnage important
L’un des personnage centraux de la série est la présidente finlandaise. Difficile de parler d’elle sans spoiler, néanmoins il est impossible de ne pas penser à l’ancienne première ministre du même pays Sanna Marin, défaite aux législatives de 2023 face à une coalition des conservateurs… et de l’extrême droite.Coalition qui a mené une campagne à charge contre elle, contre sa sortie de la neutralité du pays, mais aussi en instrumentalisant une fête à laquelle elle a participé et où de la drogue y aurait été consommé.The fortress
The fortress est une autre série norvégienne, diffusée en 2023. Durant 7 épisodes, nous allons être projeté dans une Norvège isolée derrière un mur pour se protéger d’un virus. Le pays se retrouve face à un afflux de réfugiés qui cherchent une vie meilleure. Jusqu’à ce qu’un autre virus apparaisse, à l’intérieur ! Le mur se retourne alors contre eux.
Family like ours
Family like ours est une série danoise de 2024 dont le showrunner et réalisateur est Thomas Vinterberg, celui là même qui a commis le rigolard Festen en 1998. Le synopsis rappelle un peu la série précédemment citée, dans son caractère anticipateur. Les eaux montent drastiquement, le Danemark n’a pas les moyens financiers de protéger le pays, les Pays Bas n’ont pas réussi. Alors les autorités décident d’évacuer le pays, mettant des millions de citoyens dans une situation de réfugiés.
La pop culture aux USA
Il y aurait tant à dire sur l’importance de la pop culture dans l’imaginaire américain. Évitons de nous éparpiller. Nous allons ici nous concentrer sur un film récent, même si l’exercice pourrait être reproduit à chaque sortie. Comment Avengers raconte-t-il notre époque ? Peut être l’occasion d’un autre article.Aujourd’hui, nous allons parler de Civil War.Civil war et le Capitole
Civil war est un film américain réalité par le britannique Alex Garland, compère de longue date de Danny Boyle. Un Road movie assez classique sur la forme qui suit des reporters de guerre… dans une Amérique en proie à une guerre civile.Nous avions parlé de l’influence de la pop culture sur les assaillants du Capitole. Et en voyant le film, on ne peut pas s’empêcher d’y penser : c’est évident, c’est la base du film ! Sa genèse se trouve là. Et pourtant, Alex Garland bat l’idée en brèche.« Les raisons qui président à la date de sortie d’un film sont complexes et il faut s’appeler Spielberg ou Nolan pour avoir le dernier mot sur ce genre de choses. Je vois néanmoins à quel point tout cela semble planifié et intentionnel. Mais il faut savoir que j’ai écrit ce film il y a longtemps, en juin 2020, soit sept mois avant l’assaut du Capitole. […] Quand j’ai vu les images de l’assaut du Capitole, alors que le film était déjà écrit, je ne me suis pas dit que j’avais été particulièrement inspiré, car tout ça était déjà dans l’air. D’ailleurs, vous avez peut-être réagi comme moi : vous avez été choqué, mais avez-vous vraiment été surpris ? » Alex Garland : « J’ai écrit Civil War avant l’assaut du Capitole » – PremièreEffectivement, ce n’est pas comme si les ingrédients n’étaient pas déjà là avant. Le 6 janvier 2021 a été une surprise parce que ce passage à l’acte était surprenant, pourtant les discours préalables nous inquiétaient déjà. L’élément déterminant a été la prise de parole de Donald Trump. Il est directement responsable des morts et blessés de ce jour là.
Manhunt
Bien entendu, le concept même de guerre civile est profondément ancré dans la culture américaine. N’importe qui regarde les productions US connaît la bataille de Gettysburg (1863) par exemple, moment déterminant de la guerre de sécession (1861-1965).
L’importance du contexte
L’idée qu’une production à grand budget est dépolitisé s’est ancrée dans les esprits, conjuguée aux efforts des militants apolitiques qui ne supportent pas l’idée que l’industrie du divertissement soit vecteur de messages. « On peut pas avoir deux minutes pour souffler ? Je ne vais pas au cinéma pour parler politique. » Ça s’appelle un lieu commun, et c’est même un bon vieux poncif de droite. Oh le gros mot !? Non, l’un des principes fondateurs à gauche est de considérer que tout est politique.Il faut ici souligner l’importance du contexte, de l’ampleur des traumas collectifs, des préoccupations des époques.Les exemples sont nombreux.Les héros sous stéroïdes des années 80 ? Un effet direct de l’ère Reagan.Les théories du complot comme point central de l’intrigue ? Une conséquence du Watergate.Et ainsi de suite…Steven Spielberg, dans La guerre des mondes (2005), met en scène la sidération suite au 11 septembre. C’est complètement assumé.Quand La chute du faucon noir sort en décembre 2001, son processus de production, et même le tournage étaient achevés ; bien avant les attentats du WTC. Nous sommes en plein dans les années Bush, et la résonance du message est tout autre : les USA peuvent être défait, mais l’héroïsme est toujours là. Comme dans Civil war, il ne faut pas y voir une dimension prophétique, mais plutôt un climat déjà propice à l’élaboration de ces récits.M.A.S.H sort en 1970. La comédie se déroule pendant la guerre de Corée, mais personne n’est dupe, c’est bien de la guerre du Vietnam dont il s’agit. L’adaptation du bouquin, publié en 1968, est complètement en phase avec le mouvement pacifiste de l’époque.L’objet pop
Quel est le point commun entre la soucoupe volante, le nazi et le zombie ? Ce sont tous des objets pop. Comprendre ici, l’objet est un sujet qui sert de support. Il est décliné film après film et selon l’époque, cristallise une menace propre à l’époque. Il faut regarder le contexte dans lequel a été produit le film pour comprendre quels imaginaires sont mobilisés au travers de ces objets.Le zombie est un objet particulièrement plastique, qui s’adapte à son époque. Il suffit de regarder le Zombie (1978) de Romero, alors que les morts-vivants sont magnétisés par le centre commercial, allégorie de la société de consommation. Les monstres y sont lents, s’agglutinent petit à petit sur le parking. On y lit une critique du capitalisme, où le consommateur zombie, malgré le danger qu’il incarne, l’est moins que les vivants avec leurs armes.Le remake de Snyder est un contre-pied total. Après un générique qui sous-entend une menace liée à l’islam, les protagonistes survivants deviennent héros face à des zombies rapides et ultra-agressifs. Zéro subtilité dans cette fable survivaliste, glorifiant les libertariens et la circulation des armes, à l’image de son réalisateur.Le zombie est ici objet, servant la conception du monde de leur créateur : le premier film de Romero est de 1968 et parle de racisme, il y a une perception générationnelle. Snyder est un libertarien qui n’a jamais rien compris aux œuvres qu’il adaptait (sauf 300).L’ennemi dans la pop culture
Il a toujours fallu représenter un antagoniste dans le récit. Utiliser des objets comme les soucoupes volantes pour parler de l’Union Soviétique était typique des 50’s. Paradoxalement, ces œuvres ont souvent permis d’appuyer le Mccarthisme. Mais beaucoup de ces films illustraient des angoisses plus générales, comme le péril nucléaire et ses mutations sur à peu près toutes les bestioles du monde.À ce titre, L’aube rouge est un bon exemple. L’URSS s’effondre d’elle-même entre 1989 et 1991 ; la Russie n’est plus une menace en tant que super-puissance, quoique les généraux sécessionnistes pullulent pour nourrir un terrorisme anti-américain. On ne se refait pas. Alors si en 1984, l’envahisseur du film était forcément soviétique, ce n’était plus vraiment possible en 2012. La politique menée par Kim Jong-un justifie alors d’invoquer un antagoniste nord-coréen.Les russes ne sont pas en reste
Parce que les russes et le cinéma, c’est une longue histoire. Passons sur la grande histoire du 7ème Art et accélérons jusqu’à ces dernières années. La fédération de Russie a vu toute une série de films de guerre et d’invasions d’extra-terrestre. Tout du moins avant 2022 et les sanctions internationales qui ont freiné les ambitions des studios.Dans la même veine que Independance Day, Attraction est une série de films qui montre l’invasion démarrer par Moscou. Après tout, pourquoi toujours l’Amérique ? Il y a de subtiles différences entre la mise en scène de l’héroïsme US et russe, et chacune raconte son propre impérialisme. Même analyse pour les Invasion, Sputnik ou The blackout…Lorsque la Russie de Poutine pousse les studios à réaliser des films historiques, ce sont des reconstitutions de grandes batailles qui ont fait la gloire soviétique (Stalingrad par exemple), soutenant des narratifs en phase avec la politique étrangère du Kremlin.Le cinéma comme catharsis
Ces récits en image nous sont utiles pour saisir l’air du temps. Ils ne sont pas neutres, ils jouent énormément dans la formulation que nous faisons des préoccupations de l’époque, livrant des éléments graphiques ou sonores, tout en prenant un peu de recul.Alors, volontaire ou non ? Deux conceptions sont à prendre en compte :- Le réalisateur/producteur/showrunner est conscient de ce qu’il dit. C’est le cas dans les œuvres évoquées dans cet article.
- Les tensions de l’époque ont tellement imprégné les créateurs que ça se ressent dans l’atmosphère. Et là, même le divertissement avec une volonté de neutralité politique, en dit long.