Selon l’observatoire de l’immigration et de la démographie, l’immigration coute 3 points de PIB à la France. Voici le point de départ de cet article.
Une fois n’est pas coutume, nous commençons par un spoiler. L’observatoire de l’immigration est un think tank financé par Pierre-Edouard Stérin, le milliardaire facho, dans le cadre du projet PERICLES (acronyme de Patriotes / Enracinés / Résistants / Identitaires / Chrétiens / Libéraux / Européens / Souverainistes ).
Stérin finance à tout va, et son nom a été au cœur de plusieurs affaires durant l’été 2025. L’article sur cet observatoire était déjà dans les tuyaux, mais un évènement va accélérer les choses. Nous avons d’ailleurs privilégié le format vidéo dans un premier temps avant de revenir plus en profondeur sur le sujet avec cet article.
Les 3 points de PIB
Le 31 aout, François Bayrou donne une grande interview, diffusée sur les chaînes infos. Les quatre chaînes envoient un journaliste : Darius Rochebin pour LCI, Marc Fauvelle pour BFM, Myriam Encaoua pour FranceInfo. CNEWS était représenté par Sonia Mabrouk, cette dernière va nous intéresser ici pour l’une de ses questions au Premier Ministre.
Mabrouk va citer une étude de l’observatoire de l’immigration selon laquelle l’immigration couterait 3.4 points de PIB à l’économie française.

Le rapport de l’Observatoire de l’immigration
Il ne faut pas chercher très loin pour trouver ladite étude. Publiée le 23 juin 2025, elle est intitulée « L’impact de l’immigration sur l’économie française : sortir du « cercle vicieux » et prioriser l’emploi« . Pour faire court, le propos est limpide : démontrer avec moult références que l’immigration est un problème.
Ce chiffre de 3.4 points de PIB se trouve dans cette démonstration :
Si les immigrés et les descendants d’immigrés étaient autant en emploi que les personnes sans ascendance migratoire :
• Le taux d’emploi en France serait celui des personnes sans ascendance migratoire soit 70,7 % au lieu de 68,4 % actuellement, soit une augmentation de 3,36%.
• Grâce à ce taux d’emploi plus élevé de 3,36%, le PIB français se serait élevé en 2024 à 3015 milliards d’euros au lieu de 2917 milliards d’euros21, soit une augmentation de 98 milliards d’euros.
• Les comptes publics 2024 auraient bénéficié d’un apport supplémentaire de 45 milliards d’euros22, ce qui aurait réduit notre déficit public de 1,5 point de PIB.Le moindre taux d’emploi des immigrés et descendants d’immigrés représente une perte de PIB de 3,4 % et une perte de recettes fiscales et sociales de 1,5 points de PIB.
https://observatoire-immigration.fr/limpact-de-limmigration-sur-leconomie-francaise/
Traduction : en France, si les immigrés (et les descendants d’immigrés, terminologie INSEE) travaillaient autant que les « vrais » français, alors le PIB serait plus élevé. Et donc, les recettes fiscales seraient plus élevées.
L’idée ici est d’utiliser la loi d’Okun, un principe d’économie considérant qu’un point de chômage équivaut – en gros – à un point de PIB (ceci étant variable d’un pays à l’autre, selon des calculs forts savants). Un principe empirique érigé en loi universelle qui nous permet ici de faire abstraction :
- que les conditions d’accès à l’emploi ne sont pas les mêmes partout et pour tout le monde. Retenons un principe clair, ce qui grève le PIB (si tant est que ça soit si important que ça), c’est la pauvreté, pas les immigrés.
- de la faiblesse de l’indicateur qu’est le PIB. Payez pour creuser un trou, puis payez pour le faire reboucher, bravo, vous avez payé deux fois pour rien, mais ça crée du PIB. Au final, ce produit là est une référence pour situer un pays dans l’économie mondiale et c’est tout.
- de la même manière, les économies informelles (comme le travail non déclaré ou l’économie souterraine) représenterait entre 5 et 10% du PIB. Cet argent est réinjecté dans l’économie malgré tout et c’est parfois une question de survie pour les plus précaires.
- du fait que le plein emploi est un principe tout aussi théorique (en pratique le plein emploi pourrait être autour de 4% de taux de chômage). L’idée en filigrane ici est que tous les travailleurs seraient interchangeables, donc qu’un emploi occupé par un travailleur immigré serait instantanément occupé par un chômeur français. Une vieille lubie simpliste entretenue par l’extrême droite mais qui ne tient pas compte de tas de facteurs.
Avec des « si », on coupe du bois. Et quitte à filer la lapalissade, si tout le monde travaillait en France, il n’y aurait pas de chômage. Le raisonnement proposé est du niveau du slogan du FN, « 3 millions de chômeurs = 3 millions d’immigrés ».
Le rapport de l’OCDE, question d’interprétation ?
Cette analyse s’adosse à un rapport en particulier, celui de l’OCDE Perspectives des migrations internationales, publié en 2021. Peut-être faut-il considérer qu’il s’agit d’une question d’interprétation, mais selon FranceInfo et 20minutes, ce rapport dit tout l’inverse : la balance de l’immigration dans l’économie est plus ou moins à l’équilibre en Europe comme en France.
Autant citer l’étude :
Dans tous les pays, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations
est supérieure aux dépenses que les pays consacrent à leur protection sociale, leur santé
et leur éducation.
La contribution des immigrés est suffisamment importante pour couvrir entièrement leur part des
dépenses publiques consacrées aux biens publics congestibles (soumis à congestion) et pour
financer en partie les biens publics purs, tels que la défense et les frais de la dette publique,
dans une grande majorité de pays. En 2017, la contribution des immigrés au financement des
biens publics purs a représenté un total de 547 milliards USD dans les 25 pays inclus dans
l’analyse.
Lorsque l’on inclut l’ensemble des dépenses publiques, la contribution budgétaire nette totale
des immigrés reste positive dans environ un tiers des pays étudiés. Dans environ la moitié des
pays, on enregistre une contribution par habitant plus élevée pour les immigrés par rapport aux
personnes nées dans le pays.
La contribution budgétaire nette totale des immigrés est continuellement faible sur la
période 2006-18, étant comprise entre -1 % et +1 % du PIB dans la plupart des pays. Elle
dépend de la taille et de la composition de la population immigrée, ainsi que de la structure du
budget public du pays d’accueil, et elle varie au cours du cycle économique
Et c’est encore plus flagrant pour les immigrés avec un niveau d’étude élevé et qui en plus ne seraient pas venu avec leurs familles (les enfants impactent les dépenses publiques).
D’ailleurs, le rapport est bien plus détaillé et même très intéressant sur l’état de nos économies et de l’accueil réservé aux immigrés. Autant enfoncer les portes ouvertes, tant qu’on y est : meilleures sont les conditions d’accueil, plus le taux d’emploi est élevé. Notons une spécificité de ce rapport, c’est l’année du COVID qui a eu un impact fort sur les déplacements de population, comme sur l’accueil des immigrés. Et ce, à l’échelle mondiale. Pour rappel, l’OCDE c’est une organisation qui regroupe 38 états démocratiques et à l’économie libérale, autant dire les pays les plus riches du monde.
Mais pourquoi faire ?
Conclusion, ce chiffre de 3.4 point sort de nulle part. Un jeu de calcul suffisamment discret, noyé dans un tas de références sérieuses, mais citées de façon à trahir leurs conclusions respectives. Un calcul de prospective fantaisiste.
Le JDD vient souligner un point intéressant, le rapport de l’observatoire de l’immigration sort tout juste un mois après une note du think tank étiqueté à gauche Terra Nova, intitulée Les travailleurs immigrés : avec ou sans eux ? publiée le 12 mai 2025. Un mois avant celle de l’OID.
Baston de think tank ! Quand à gauche, on justifie l’antiracisme par l’impact positif et réel de l’immigration sur l’économie, à droite, on cherche à gommer cet argument pour justifier un discours anti immigrationniste. L’argument ici est donc de sauver le capitalisme à tout prix pour les uns comme pour les autres.
L’observatoire de l’immigration, kézako ?
Parmi les projets dans les cartons des DBK, il y a cette carte des think tank, dont nous espérons qu’elle verra le jour. Une idée née après nos articles sur l’IFRAP et l’institut de la justice. L’observatoire de l’immigration et de la démographie s’inscrit dans cette tradition.
Cet observatoire a été co-fondé par Nicolas Pouvreau-Monti, un jeune militant bien introduit auprès des réseaux d’extrême droite.
Une conviction que le jeune trentenaire a sans doute construite pendant ses années étudiantes à Sciences Po. En effet, dans les années 2010, rue Saint-Guillaume, Nicolas Pouvreau-Monti devient l’un des membres éminents de l’association eurosceptique « Critique de la raison européenne ». D’après un article du journal étudiant La Péniche, il réseaute ainsi avec Alexandre Loubet, fondateur de l’association et aujourd’hui député RN. Et, d’après les photos de l’article, il côtoie de près l’eurodéputée Reconquête, Sarah Knafo. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si, pendant les débats sur la loi immigration, il y a un an, l’OID de Nicolas Pouvreau-Monti est devenu la « hot-line » du Rassemblement national.
« L’Observatoire de l’immigration et de la démographie » ou la fabrique de statistiques du RN – Charlie hebdo
Un comité scientifique pas très scientifique
Autour de lui, on retrouve un « comité scientifique », caution du sérieux de l’observatoire. Un passage obligé pour pouvoir avoir suffisamment de crédibilité et amener cette illusion de neutralité. Mais les membres de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie n’ont pas vraiment un CV de chercheur.
Pierre Brochand
Le premier de la liste est l’ancien grand patron de la DGSE entre 2002 et 2008. Mais avant ça, il est surtout un haut-fonctionnaire et un énarque qui a passé une grande partie de sa carrière comme ambassadeur.

Brochand s’est rapproché de l’équipe d’Eric Zemmour, une sorte de conseiller de l’ombre, durant la campagne présidentielle de 2022. Désormais, à 84 ans, le cannois officie dans la presse de droite comme expert.
Michel Aubouin
Ancien préfet et énarque lui aussi, Michel Auboin est également régulièrement invité sur les plateaux tv de CNEWS.
Gérard-François Dumont
Ancien recteur de l’académie de Nice, Gérard-François Dumont est le seul qui a un statut qui colle avec l’étiquette de comité scientifique. le démographe a écrit plusieurs ouvrages sur son sujet d’étude.
Historiquement militant de droite, il s’illustre par la participation à différents collectifs et revue souvent étiquetés de droite, voir fricotant avec le FN depuis les années 80. Ces dernières années, il se fait inviter sur tous les plateaux tv (LCI, BFM, CNEWS) et a également participé à un colloque organisé par la fondation Res Publica, un think tank chevènementiste.
Thibault de Montbrial
Si son nom ne vous laisse pas indifférent, C’est que Thibault de Montbrial s’est illustré comme avocat de policiers dans des affaires largement médiatisées.
En parallèle de sa participation à l’observatoire de l’immigration, il a également fondé son propre think tank, le CRSI (pour Centre de réflexion sur la sécurité intérieure) lui aussi financé par Stérin dans le cadre de son projet PERICLES.
Xavier Driencourt
Ancien ambassadeur de France en Algérie, il rencarde également le RN sur son idée de sortir des accords de 1968 entre les deux pays et qui régissent les principes de l’immigration.
La stratégie du think tank
Crée en 2020, l’observatoire de l’immigration a mis 3 ans pour s’imposer. En 2023, c’est le ministre Gérald Darmanin lui-même qui invitait Pouvreau-Monti en qualité d’expert.
À deux semaines de la reprise des discussions du houleux projet de loi immigration et intégration au Sénat, le ministère de l’Intérieur a choisi de convier Nicolas Pouvreau-Monti, cofondateur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID), pour traiter de la perspective migratoire en France et des transformations démographiques induites. Une consécration pour le jeune think tank fondé en 2020 par une poignée de trentenaires hauts fonctionnaires et entrepreneurs, qui se sont liés d’amitié pendant leurs études, dans les couloirs de Polytechnique, de Sciences Po ou de l’Essec.
L’Observatoire de l’immigration, « boîte à outils » de la droite parlementaire – Le Point
La victoire n’est pas loin d’être totale. Si Pierre-Edouard Stérin a choisi de financer l’OID, ce n’est pas pour rien, c’est bien parce que ce think tank s’inscrit dans une stratégie globale, une stratégie métapolitique. Encore une approche pensée par la Nouvelle Droite (et en particulier le club de l’horloge) qui consiste à influer sur la politique de la façon la plus efficace possible, par réseautage et diffusion d’un discours structuré.

Le but est de se présenter comme fiable, en utilisant des statistiques et des chiffres (comme nous l’avons vu, c’est discutable). Puis de revendiquer une certaine neutralité, car les faits sont forcément neutres. Enfin, le résultat de cette stratégie est de fournir des analyses aux médias mais aussi aux parlementaires.
« Ils font un travail sérieux. Nous avons beaucoup discuté avec eux des politiques familiales et du coût de l’immigration. Ils nous prodiguent des chiffres incontestables et des analyses rares dans le débat public », salue le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, qui les a rencontrés à plusieurs reprises. « Leur approche dépassionnée, raisonnée de la question est exactement ce dont nous avons besoin pour refroidir le débat », appuie-t-il.
Au Rassemblement national, les deux rapporteurs sur le texte immigration, Edwige Diaz et Yoann Gillet, ont également échangé avec l’Observatoire pour peaufiner leurs exposés des motifs et amendements. Si l’OID revendique des contacts avec des élus de gauche ou issus du parti d’Édouard Philippe, Horizons, ceux-ci se veulent pour autant plus discrets…
L’Observatoire de l’immigration, « boîte à outils » de la droite parlementaire – Le Point
Ultime victoire en novembre 2024, l’OID anime même des conférences à l’assemblée et au Sénat. Le vers est dans le fruit. Et même si François Bayrou tente, face à Sonia Mabrouk de mollement rappeler que l’observatoire n’est pas très sérieux, le mal est fait. Trois jours plus tard, Laurent Jacobelli reprend à son compte la théorie des 3.4 points de PIB comme une vérité indiscutable.
Il suffit donc à un Damien Rieu de citer l’observatoire de l’immigration comme une structure reconnue dont les données sont indiscutables.