17 juin 2025 | Temps de lecture : 6 minutes

Coup de blues

Certains l’auront sûrement remarqué, le rythme des publications s’est ralentit ces dernières semaines. La raison en est ce que nous pourrions qualifier d’un coup de blues collectif. Il y a probablement quelque chose à en tirer. Nous allons vous expliquer pourquoi.Bien entendu, chacun d’entre nous a des impératifs personnels et professionnels qui bouffent notre temps et notre énergie. Ce n’est pas un détail, notre collectif est bénévole. Nous n’avons pas d’impératifs de diffusion, si ce n’est notre force de conviction qui nourrit cette motivation à réfléchir ensemble pour produire quelque chose.Et puis il y a des raisons politiques. Depuis un an, ces élections européennes, ainsi que la dissolution et les législatives qui ont suivi, la fatigue se fait sentir. Battre l’extrême droite, sur le fil, encore. Voir l’union de la gauche naître puis s’effriter, encore. Une victoire en demi-teinte alors que les discours des fachos sont encore plus audibles, partout, tout le temps.

L’époque est étrange

Soyons lucide. La séquence n’a pas démarré il y a un an. Difficile de déterminer un point de départ. Le 20 janvier 2025 ? Le 7 octobre 2023 ? Le 24 février 2022 ? le 17 mars 2020 ? Le 17 novembre 2018 ? Le résultat est pourtant là, une sorte d’anxiété généralisée. Nous avons constaté que nombre de camarades sont sur le fil.Le discours médiatique voudrait consacrer la violence comme mal du siècle. Pourtant, l’époque est-elle vraiment plus violente que d’autres ? Bien sûr que non. En revanche, notre perception de la violence a changé. La guerre n’a jamais disparu, on compte des dizaines de conflits tous les ans. Jamais propres, jamais justes, nous souhaitons toujours qu’il s’agit de la dernière.Dans notre écosystème, le 7 octobre a résonné plus fort que le conflit en Ukraine. Le soutien à la Russie se fait du bout des doigts, de façon détournée. Et ce pour une raison très simple, les sanctions contre Poutine et sa clique sont concrètes. Peut être pas à la hauteur, mais elles existent. Le RN a pris ses distances, comme de nombreux pays d’extrême droite en Europe. Pourtant, s’ils partagent la même vision du monde que le dictateur moscovite, l’accès au pouvoir ne peut faire l’économie de la condamnation de l’invasion de l’Ukraine.
Poutinéo, j'aime ma banque (parodie)
Poutinéo, j’aime ma banque (parodie)
Ukraine qui continue de tenir, un peu à la surprise générale. Cette seule résistance depuis plus de deux ans illustre la recomposition d’une partie du monde, aux portes de l’Europe. Poutine puis Trump ont popularisé un récit de combat civilisationnel, continuation morbide d’une guerre froide terminée en poussière du mur de Berlin.Le 7 octobre est la continuation de ce grand récit de combat civilisationnel. Le Hamas frappe Israël au coeur, et Israël entre dans une guerre terrible pour « éradiquer le Hamas », son meilleur ennemi jusqu’ici. Récupérer les otages (il en reste encore, certains seraient encore en vie) à tout prix : le cout sera la destruction méthodique et totale de Gaza, avec sa population qui se retrouve prisonnière à l’intérieur de mur qui se rétractent autour d’elle.Notre écosystème a donc été secoué par ce moment. Notre position qui nous semble naturelle, contre l’extrême droite de Tel Aviv comme les islamistes du Hamas, ne fait pas recette. Les deux camps semblent déterminés à emmener tout le monde avec eux dans une guerre totale, une guerre de civilisation. Peu importe les contestations propres à ces pays (encore que la Palestine n’est pas une nation, toujours pas), les discours les plus radicaux l’emportent, ils servent de balises, de points de repère à ceux d’en face pour justifier la montée de la violence. Quand Trump invente une Riviera gazaouie, il joue à un jeu sordide dont il est passé maître, la surenchère.Notre écosystème politique a été profondément impacté par cette montée en radicalité des discours. La mesure, les équilibres difficiles, les contradictions sont balayés par des discours radicaux. Notre gauche voir revenir en force un poison identitaire, avec un vernis de fraîcheur proposée par une jeunesse qui streame, diffusant un récit qui n’a rien de progressiste, mais qui fait florès sur le dos des palestiniens, face à une extrême droite qui se veut grande défenderesse de la liberté contre une menace permanente, l’immigration. Encore.Nous nous retrouvons en étau entre ceux qui n’aiment pas les arabes (et passent ça sur le dos de la critique de l’islam) et ceux qui n’aiment pas les juifs (et passent ça sur la critique d’Israël).

Vider la mer à la petite cuillère

La réalité, le réel, voilà ce qui nous guide depuis le début. L’extrême droite diffuse du faux, à dessein la plupart du temps, faisant infuser la peur dans la société. Les fake news et les hoax sont le carburant de la peur. Depuis La manif pour tous, qui signe l’avènement des réseaux sociaux et surtout la démocratisation de ces nouveaux espaces du militantisme, nous avons vu conservateurs et réactionnaires les utiliser pour répandre des tas de conneries.En réaction, ces dernières années, on a vu un cercle de la raison s’accaparer le combat pour la vérité, en se revendiquant apolitique, comme beaucoup de médias pensent être neutres. Ce n’est pas notre conception. Tout est politique, la neutralité n’existe pas, la raison est un absolu philosophique vers lequel chacun de nous devrait tendre mais qui est par nature inaccessible. Voilà pourquoi la vérité est subjective, malléable au point d’en arriver à un extrême, l’ère de la post-vérité.La réalité est tangible, elle. Peut-être que ça n’importe plus vraiment à certain de rappeler ce qui est réel, les réalités sociales, la précarité, le racisme, les discriminations. A contrario, le wokisme, cette panique morale importée des USA (le comble !) n’a aucune prise avec le réel. Voilà de quoi nous parlons. Et les mensonges diffusées doivent être debunkés, un devoir moral autant qu’un impératif politique.Sauf que…La généralisation de cette méthode a un effet de submersion. Nous ne savons plus où donner de la tête. Il suffit de voir les quantités d’aberrations d’un Trump pour prendre la température de cet écosystème. Un génocide en Afrique du Sud ? Aucune trace d’un quelconque génocide de ce côté là de la planète, mais qu’importe, l’agent orange donne corps à ce fantasme en accueillant des « réfugiés » en grande pompe à Washington. Nous en sommes à un niveau de délire stratosphérique, qu’est-ce que vous voulez faire face à ça ?Le fait est là, la désinformation est produite à une nouvelle échelle. Nous avions coutume de dire que l’extrême droite produisait du faux à une échelle industrielle. Quand elle devient l’apanage de grands états comme les USA ou la Russie, l’industrielle atteint une autre échelle, c’est une économie de guerre à ce niveau là.La seconde couche, c’est l’instrumentalisation. Le réel devient terreau fertile pour faire naître la peur. Le cas de la soirée du samedi 31 mai est édifiant. Ligue des champions et victoire parisienne, la fête vire aigre avec une police sur les dents et quelques abrutis opportunistes. Le lendemain, les chiffres délivrés par la préfecture montrent une soirée plus banale, ce qui ne rend pas ça plus acceptable mais pas exceptionnel dans son intensité. Les jours qui suivent, les politiques de droite et leurs relais médiatiques en font l’apothéose de la barbarie qui s’abat sur le pays. CNEWS remporte la palme évidemment associant supporters du PSG et frères musulmans. À ce degré d’obsession, ça devient pathologique.
@jeanbenoitdiallo

J’ai bien entendu ? En spectacle à Paris lien en Bio 🎟 #videohumour #videodrole #humour

♬ son original – Jean Benoit Diallo
En résulte un sentiment d’impuissance, nourrit par une production quotidienne de discours racistes, essentialistes et tout ce que vous voulez. Ce sentiment use, au moins autant que la violence des échanges. Pas avec les fafs. Nous bloquons les escrocs, les charlatans, les néo-nazis, les gudards… Non, ce qui trouble d’abord avant d’abîmer, c’est la violence qui vient de notre propre camp : les invectives, les exigences de pureté (plutôt malvenues, balayons devant nos portes) et les anathèmes. Sans parler du déni, comme la question de l’antisémitisme à gauche ; aucune preuve ne suffira jamais, le doute n’est pas permis, être mesuré est vu comme une faiblesse qui fera gagner l’ennemi.En voilà aussi de la violence, en plus d’un sentiment d’abattement tant notre camp politique, ceux avec qui nous partageons une vision similaire du monde (dans les grandes lignes au moins) partons désunis. Irréconciliables.

En finir avec la violence

Comme disait Lénine, Que faire ? La question en devient lancinante. D’abord, debunker pour qui ? Des camarades déjà convaincus ? Nos discours, par cet effet d’étau déjà cité plus haut, ne porte pas au delà de nos sphères. La considération est stratégique, et non d’ordre tactique. Des vidéos tiktok touchent plus de monde, c’est vrai. Mais ça ne répond pas sur le fond, quelle ligne peut aujourd’hui être audible ?Notre ligne est humaniste. Elle est incompatible avec le fait d’agiter la guillotine en couverture d’un bouquin (coucou Juan Branco), elle est incompatible avec le fait de soutenir de près ou de loin des conservateurs de tout poil. Le progrès social ne peut pas se compromettre avec des bouchers, peu importe qu’ils soient anti-impérialistes, ou se revendiquent d’une quelconque résistance. Parce que justement, le progrès social c’est sortir de la violence, de toutes les violences.Il est là le coup de blues, le vague à l’âme, le spleen militant. La réflexion perd face aux slogans empreints d’une radicalité de pacotille. Rappelons-le à nouveau, la radicalité n’est pas une fin en soit. L’émancipation face aux rapports de domination n’est pas un luxe, ni un style de vie. Pas d’adversaires ici, les réactionnaires ne veulent pas cohabiter, ils justifient déjà avec des mensonges la menace que nous serions à leurs yeux. Pourtant, c’est bien eux qui veulent revenir sur nos droits, avant de s’en prendre à nous.Lutter n’est pas un choix (mais c’est épuisant).
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